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l’Etat, il ne prît l’initiative de ramener la France à l’arianisme, et d’en imposer l’enseignement dans les séminaires, comme étant plus conforme à l’idée que les bureaux se feraient du rapport des deux natures dans la personne de Jésus-Christ.

Telles seraient quelques-unes des premières conséquences de la formation d’une Eglise ; « nationale » ou d’un « changement d’inscription religieuse. » Une contrainte, et je crois que je puis dire une tyrannie, qui ne s’exerce encore que dans le domaine des opinions politiques, s’étendrait promptement au domaine des croyances et des convictions religieuses. On exigerait de cette Eglise que sa doctrine, libre d’ailleurs en tout ce qu’on croirait ne pas toucher l’Etat, coïncidât de tout point avec les besoins changeans du gouvernement. Domine, salvam fac Rempublicam ! Sa mission deviendrait de fortifier dans les cœurs l’amour du ministère. Le « Roi Très Chrétien » s’appelait jadis lui-même, « l’évêque du dehors : » les évêques nationalisés ou, si je l’ose dire, domestiqués deviendraient les « préfets du dedans. » Et finalement la « religion d’Etat » manquerait à la principale destination d’une religion en ce monde, qui est, comme on l’a dit, de « constituer un vrai régulateur social, capable de contenir ou de redresser les déviations auxquelles tout gouvernement se trouve disposé. » Cette conception de la religion n’est pas de Bossuet, ni de Joseph de Maistre, mais d’Auguste Comte, en son Système de politique positive, où je renvoie ceux de mes lecteurs qui, lorsque je leur parle de « la faillite de la science, » me répondent par la « banqueroute du positivisme. »

Mais il convient d’insister sur ce que deviendrait le clergé d’une Eglise ainsi « nationalisée ? » Je lis dans un livre récent : « Une question se présente. Le traitement fait au clergé sera-t-il conservé ? S’il l’est, celui de tous les cultes venus et à venir doit être également accordé. Mais qui décidera quand c’est un culte ? Voilà l’Etat redevenu théologien. Et puis le salaire est un moyen d’oppression, d’humiliation, de vexation. En principe il vaut donc mille fois mieux que nul subside légal ne nous vienne de l’Etat. » Ces quelques lignes sont extraites d’une lettre datée de 1848, — on pourrait s’y méprendre et les croire d’hier, — et c’était un évêque, Mgr Parisis, qui les adressait à Montalembert. Mais, si la question se pose aujourd’hui comme alors, avec combien plus de menaçante urgence et d’impérieuse autorité ne se poserait-elle pas dans le cas de la formation d’une Eglise « nationale ? »