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même qu’on aurait cru merveilleux pour fortifier l’unité nationale, n’aboutirait qu’a la diviser plus profondément contre elle-même. De telle sorte que ce n’est plus ici seulement dans l’intérêt de la religion, c’est dans l’intérêt même de l’unité de la patrie que nous ne voulons pas d’une Église « nationale. »

Cette conclusion choquera-t-elle peut-être quelques « nationalistes, » et la trouveront-ils pour le moins paradoxale ? Et, en effet, elle le serait, si plutôt ils ne se méprenaient à la fois sur la nature du « catholicisme » et sur le caractère du « nationalisme. »

Oui, si le « nationalisme » consistait dans l’orgueilleuse ou naïve admiration de soi-même, dans un isolement farouche, dans la haine de l’étranger, dans la méconnaissance des liens qui lient les nations entre elles, oui, sans doute, le « nationalisme » s’opposerait alors au « catholicisme ; » et ainsi l’ont conçu jadis, en des temps plus ou moins anciens, les Églises qu’on appelle « séparées : » la grecque, par exemple, pu encore l’anglicane. Un Anglais se croit plus anglais de ne pas être « papiste, » et d’ailleurs il plaint moins les « papistes » d’être catholiques que de ne pas être Anglais. Mais le « nationalisme, » — puisque « nationalisme » il y a, — ne consiste pas plus en tout cela que l’indépendance du caractère et la véritable individualité ne consistent à se conduire comme si l’on ne ressemblait à personne et qu’on fût seul de son espèce au monde. Il ne consiste, si l’on veut s’en faire une idée juste, que dans le sentiment des nécessités permanentes ou actuelles qui conditionnent l’existence d’une nation comme telle, et ces nécessités n’ont rien d’incompatible avec une conception plus haute, plus générale, et plus généreuse des destinées de l’humanité. Je ne crois pas, moi qui écris ces lignes, être suspect d’avoir mollement défendu l’idée de patrie, et au contraire, dans un temps où beaucoup de nos « nationalistes » d’aujourd’hui, s’ils ne la traitaient pas précisément de préjugé d’un autre âge, ne s’émouvaient guère des assauts qu’on lui donnait déjà de toutes parts, je n’ai pas été des derniers à dénoncer le danger. Mais la « religion de la patrie, » comme on l’appelle quelquefois, ne saurait suffire aux aspirations de l’âme humaine, et celui-là ne serait pas un homme dont le regard n’aurait jamais dépassé l’horizon de ses frontières ou de son ciel natal.

Aimons donc la patrie ! et aimons-la comme on fait quand