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plus cher, c’est de ne goûter le repos de la tombe qu’au terme de la mission qu’il s’attribue ici-bas : celle de célébrer dans ses vers jusqu’à la dernière fleurette de ses campagnes natales. Car, s’excusant envers ces amies de les avoir trop souvent sacrifiées à sa passion égoïste, sous le prétexte de marier leurs corolles moissonnées en bouquets de pourpre et d’or[1], il leur a promis maintes fois de se faire, en expiation de ce crime, leur avocat, leur fervent, leur prêtre, et de leur gagner des fidèles innombrables par le vaste monde[2].

Dès son enfance, il a appris à les connaître, par leur nom populaire d’abord, puis, bientôt, par leur dénomination scientifique latine, qu’il omet rarement d’ajouter en note au bas de ses pages. Et, prédisposé par une vocation native, il est devenu rapidement leur familier et leur favori. Un thème qui revient vingt fois sous sa plume, au point de présenter enfin quelque monotonie, c’est celui du « salut » des fleurs, qui, sans cesse, font de loin quelque signe d’intelligence à leur ami. Lorsque, parcourant les rues d’une grande ville, odieuses à ses yeux de campagnard, il se sent isolé et dépaysé jusqu’au fond de l’âme ; soudain, le voilà remis en confiance et réconcilié avec les citadins par l’aspect d’un appui de fenêtre fleuri de géraniums ou de pensées. Tout sentiment, songe-t-il alors, n’est donc pas éteint dans le cœur de ces prisonniers volontaires, puisque, entre les sombres murailles de leurs impasses moroses, rayonne encore l’image de la beauté florale ?

Comment s’étonner en présence d’une si ardente affection, s’il engage parfois avec les plantes des colloques dont la grâce est exquise ? Ecoutons ce bavardage piquant d’un amoureux maltraité par le caprice passager d’une coquette[3] :

Oui, vraiment, seringa, arbuste en fleur qui m’est toujours apparu comme un chœur de la Pentecôte devenu parfum, voilà que tu secoues la tête comme pour me repousser, me détromper sur les origines, et je reconnais enfin en toi une fille de Mahomet[4]. — Évidemment, réponds-tu. — Pourtant, j’aurais le droit de me fâcher, car tu ne m’avais encore rien confié de ton destin, à moi, ton poêle… Mais j’en vois bien la cause. Tu as la vanité de tes amours princières ; tu te sens étrangère en ce pays. Et tu t’y es

  1. Weihegeschenke, 38.
  2. Ibid., 101.
  3. Sonntagsgaenge. Promenades du Dimanche, 1, 13.
  4. C’est une allusion à l’origine orientale de cette plante.