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acclimatée pourtant, ô poésie de la Perse ! ô dame la plus parfumée qui sois jamais apparue dans la patrie bruineuse des giaours ! Combien tu es belle ! vraiment belle et aimable comme les ombrages de Téhéran, comme les kiosques en filigrane étincelant des shahs. Mais, si tu es fière, je ne le suis pas moins, et je passe. Oui, je vais vers les humbles de ce monde : je foule le sentier qui conduit vers la forêt, l’asile des persécutés, des bannis, des pauvres et des épuisés.


On le voit, le poète entend nous entretenir non seulement de l’aspect extérieur des plantes, mais surtout de la vie de leur âme, de ce qu’elles ont murmuré à l’oreille de leur indiscret confident[1]. Il s’efforce en conséquence de les faire parler sur un ton conforme au caractère qu’il croit discerner en chacune d’elles, afin de les élever, vis-à-vis de son lecteur, à la dignité de personnes morales. C’est pourquoi les esprits cultivés de l’Allemagne ont été surpris de rencontrer dès ses débuts en cet humble paysan un véritable créateur de mythes[2], qui, comme les panthéistes de l’antiquité, comme un Ovide familier des vieilles légendes grecques, opère autour de lui des métamorphoses, anime les plantes d’une vie singulière, et les grave, sous des traits inaperçus des profanes, en un costume pittoresque désormais inoubliable.

Le magicien a pour cela plus d’un secret. D’ordinaire, c’est le nom populaire de la fleurette qui l’inspire, nom que l’imagination naïve des ancêtres a fait souvent significatif à lui seul, y déposant en germe la légende qui va se dérouler sans effort sous la plume sympathique à l’objet de sa description. Un autre ami de la nature champêtre, le romancier de la Styrie, Rosegger, n’a-t-il pas dit quelque part d’une de ses héroïnes rustiques :

« Sur chacune de ces plantes au nom imagé, elle savait un conte, une courte légende qu’elle racontait parfois machinalement, comme en un rêve ; ou bien encore, c’était un petit dicton railleur et plein de sens. Bien plus, les insectes qui rampent sous les herbes, et les oiseaux qui chantent dans les branches, avaient en ce pays des dénominations particulières ; presque en chaque être, l’homme avait ainsi déposé l’une de ses pensées, une sorte

  1. Sonntagsgaenge, 1. Préface.
  2. Voir Beitage zur Allgemeinen Zeitung. 20 octobre 1886. Moderne Mythenbildung. Ajoutons que les mythes floraux tiennent déjà une grande place dans les livres sacrés de l’Inde. « Les herbes qui ont Soma pour roi, » dit le Rig-Veda. Et Soma, la boisson enivrante des sacrificateurs, est souvent la Lune, fleur d’argent dont la racine se nomme la Nuit. (Voir Gobineau, Hist. des Perses, I, 56.