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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/304

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de petite âme élémentaire qu’on sentait partout, sous une enveloppe matérielle, poindre, palpiter, et vivre d’une vie fantomatique[1]. »

Et ne voit-on pas ici la métempsycose toute prête à sortir de simples métaphores populaires ?


Quoi qu’il en soit, Wagner est l’un de ces interprètes élus qui savent comprendre et traduire en un clair langage les confidences des choses : il a rendu à ses compatriotes le service de fixer pour eux sous une forme gracieuse une partie des leçons que murmure le paysage familier à leurs regards ; et sa poésie emprunte à ce mérite une vertu éducatrice, qui l’a fait recommander avec raison pour l’enseignement de l’école primaire.

Bien que ces inspirations délicates ne se laissent guère traduire, parce qu’elles se rapportent au nom populaire allemand qui n’a pas d’ordinaire son équivalent dans notre langue, nous allons tenter d’en faire soupçonner le charme simple et primitif. Voici, par exemple, la chicorée sauvage, dont la silhouette apparaît, vers le temps de la moisson, sur le bord des sentiers qui se déroulent à travers les champs. On l’appelle en allemand Wegewarte, celle qui attend près du chemin. De plus, Wagner a remarqué dès longtemps, dès que ses yeux se sont ouverts à la contemplation de la nature, la petite fleur bleue de la plante, et la position particulière des feuilles, qui lui semblent tendues, comme des bras impatiens vers un arrivant désiré. Un mythe est né de ces sensations fugitives, si spontané qu’une analyse explicative risque déjà de le déflorer et de le flétrir : c’est la vingt-septième Promenade du dimanche, dans le premier recueil de notre auteur. Remarquons encore, car une traduction ne saurait le faire clairement sentir, que le récit débute en prose. Cette exposition du sujet en langage familier est un procédé cher à Wagner ; par là, quand, insensiblement, son imagination s’échauffe, et qu’il en vient, dans une habile gradation, à s’exprimer en vers, il pourra se permettre d’indiquer au moyen d’allusions rapides des rapprochemens présentés tout d’abord sans les entraves de la prosodie, concentrant ainsi l’effet poétique.

  1. Martin der Mann, p. 135. On vient de réimprimer avec grand succès en Allemagne un ouvrage vieux déjà de cinquante années : Nanna, ou l’âme des plantes, de Fechner ; l’auteur va jusqu’à attribuer au monde végétal, non seulement un principe spirituel, mais même une existence consciente.