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surnaturel, c’est la nudité impudique de leur tige d’un blanc rosé, couleur de chair, que nulle feuille ne protège contre un coup d’œil indiscret[1] :


Un homme avait huit filles qui ne lui apportaient pas beaucoup de bonheur. Ce vieux père, leur unique surveillant, donnait malgré lui une fort grande liberté à leurs ébats. Car elles le laissaient supplier, malade, du fond de son lit de douleurs ; elles le laissaient tempêter, gronder, et se glissaient doucement au dehors.

Le malheureux sentait augmenter à chaque instant son angoisse et ses souffrances. Hélas ! les nuits lui paraissaient sans cesse plus longues : « Oh ! ne me laissez donc pas ainsi abandonné ; que de fois je soupire après une gorgée d’eau ! » Et il ne les quittait pas des yeux ; mais, dès qu’il avait un instant cédé au sommeil, il était assuré que pas une ne se trouverait là à son réveil.

Un soir, il s’en alla avec effort regarder sur la prairie au clair de lune. Il les vit, et elles ne s’y tenaient pas seules ; elles s’étaient échappées vêtues seulement de leur robe de nuit : « Vous reviendrez là dans votre robe de nuit jusqu’au jugement dernier, rôdant sans trêve comme filles de mauvaise vie. » Telle fut la malédiction du père, qui tomba frappé à mort sur le seuil.


Dans une légende tout à fait analogue, et d’accent non moins populaire, le poète personnifie les soucis d’eau, ces fleurs d’or qui se penchent sur le miroir des ruisseaux, et dont les larges feuilles dominant la corolle semblent des ombrelles vertes abritant de jaunes chapeaux de paille d’Italie. Ce sont, cette fois encore, des filles paresseuses et coquettes, frappées par la malédiction paternelle au cours de leur péché d’habitude[2].

D’autres fois, Wagner se souvient de ses lectures classiques et de ses connaissances scientifiques dans le domaine de la botanique. Il unit alors la dénomination latine de la plante à son surnom populaire, afin d’en tirer les élémens de quelque légende caractéristique. Une de ses ballades les plus colorées célèbre de la sorte la fleur nommée, par le vulgaire lys à turban, et par les savans, lilium martagon, lys de Mars. Cette image guerrière, ce souvenir ottoman amènent l’observateur à voir dans les corolles tachées de gouttelettes rouges, dans les feuilles du périgone roulées sur elles-mêmes, comme des lacets de crin de cheval, autant de têtes sanglantes, trophées de la discipline de fer qui conduisit tant de fois à la victoire les sectateurs du Croissant, et les amena jusqu’aux portes de Vienne, laissant derrière

  1. Sonnfagsgaenge, I, 31.
  2. Ibid., I, 5.