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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/307

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et devant elles, par les campagnes germaniques, un impérissable frisson d’angoisse[1].


Comme un ouragan dévastateur, la sauvage armée des Turcs passe sur le pays ; les villages sont en flammes et les champs désertés à la ronde.

D’abord viennent les escadrons innombrables des spahis, sur leurs coursiers allègres ; puis, derrière eux, s’avancent à pied les janissaires.

Mais voici que, sous les yeux de l’aga, débouche bride abattue d’une gorge de montagne une troupe de spahis qui s’est laissé mettre en déroute.

Le chef se sent saisi de fureur : son sabre courbe étincelle, et bientôt, éclaboussées de sang, les têtes de ses propres soldats s’entassent à ses pieds, détachées de leur tronc.

Il saisit alors la tige d’une lance qu’il enfonce en terre, et, avec la violence d’un tigre, il arrache la queue d’un des chevaux fuyards.

Puis il ordonne de fixer en haut de la lance, par des tresses de crin longues et solides, tête contre tête, avec leur turban et leur chevelure.

Qu’Allah vous loge au fond de l’enfer avec les giaours, lâches fuyards, qui que vous soyez, spahis ou janissaires. Malheur a qui se lie à votre courage !

Et, aujourd’hui, têtes et visages sont depuis longtemps tombés en poussière, mais les turbans pendent encore au trophée, retenus par les tresses solides.


Ici, l’aspect remarquable de la fleur avait inspiré, à d’autres le trait pittoresque qu’on retrouve dans sa dénomination populaire ou scientifique ; le rôle du poète s’est donc borné à développer, à élargir l’image créée par ses pères. Mais Wagner n’a pas toujours besoin de cette collaboration, inconsciente de la foule ; il est souvent créateur en ce sens, et son imagination, aux réactions fines et subtiles, lui fournit sans secours étranger quelque mythe nouveau, par la seule observation sympathique des particularités de la plante.

Ainsi, dans la première de toutes ses promenades du dimanche, il célèbre le Daphne mezereum, cet arbuste voisin du laurier, qu’on nomme en français bois-gentil. C’est la première corolle qui s’ouvre au sortir de l’hiver dans les campagnes de la Souabe, et elle émeut doucement le cœur de l’ami des fleurs. Ses pétales, qui ont l’éclat de joyaux précieux, plus tard ses baies de corail rouge, lui murmurent une légende mélancolique encore, comme le paysage environnant. Il dit l’histoire d’un couple de musiciens ambulans, qui sont venus chercher fortune dans le Nord, loin des rivages ensoleillés de l’Adriatique. Ces exilés

  1. Sonntagsgenge, I, 10.