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langueurs, pestes dévastatrices, égorgeant avidement leurs victimes. »

Enfin, dans une assez belle inspiration morale, le poète attribue à la destruction de la forêt natale la disparition de la vie libre, des grands sentimens, de la fière indépendance des ancêtres, et cela encore est une vengeance des arbres assassinés.

« La honte, l’esclavage, la misère, régneront désormais. Les hommes ne seront plus protégés par un cœur héroïque, par l’audace que donne la liberté. Il leur faudra des murailles pour remparts. »

Nous entrons déjà dans le domaine de la fantaisie, où Wagner se meut plus à l’aise encore, et va découvrir des châtimens plus subtils pour qui demeure rebelle à ses exhortations. L’un d’entre eux, qui procède évidemment du Karma bouddhique, c’est l’entrée des atomes détachés de notre corps en des combinaisons dégradantes. Car leur réunion dans une personne humaine est une rare fortune qu’ils ne sont pas assurés de rencontrer bientôt, après qu’ils l’ont une fois goûtée. Or, à l’avis du poète, leur sort est bien différent, suivant qu’ils émigrent dans une feuille de rose, dans les élytres d’un insecte diapré, ou au contraire dans les tissus d’une ortie cuisante, et dans les chairs d’un crapaud visqueux. L’on perçoit ainsi un singulier écho des lointaines distinctions rituelles du Véda ou de l’Avesta. Cependant, outre que leur destinée n’émeut probablement pas outre mesure des particules matérielles privées de conscience, outre que l’insecte fut d’abord larve ou chenille, et que la rose a grandi sous le fumier, il y a tant d’arbitraire dans des classifications qui font noble le lys et impure l’ortie, que nous nous empresserons de voir en tout cela de simples métaphores. Si nous sommes parfois tentés d’y trouver davantage et de faire alors reproche à Wagner pour ses inconséquences, c’est qu’il a eu le tort de donner arbitrairement une forme dogmatique à ces jeux d’esprit dans son catéchisme de la Foi Nouvelle. Le poète demeure au-dessus de toute objection, mais le théologien est moins inattaquable, et il ne saurait s’étonner de rencontrer des contradicteurs.

Cette appréhension devant les renaissances dégradantes apparaît sous une forme singulière dans une épopée que Wagner songea quelque jour à composer sur l’empereur Hadrien, l’ami de la beauté, dont il avait lu une biographie frappante. Il n’a réalisé et imprimé (dans ses Présens votifs) que des fragmens de ce