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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/339

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propriétaires de ces corps dont les atomes vont bientôt remplir l’auge de leurs oies ?


Voilà qui est assez shakspearien, et Hamlet n’a pas mieux dit.

Si les réincarnations dégradantes sont un châtiment à redouter, la Loi Nouvelle en a de plus immédiates pour qui croit aux menaces de son prophète. Il a trouvé en particulier des accens passionnés contre les cruautés de la chasse, écoutons les conséquences tragiques de la mort du cerf : elles ont un défaut, celui de rappeler un peu trop, et cette fois sans fondement, les punitions météorologiques précédemment décrites.


Une odeur de sang qui s’élève porte un message terrible, monstrueux jusqu’en un astre qui brille au bleu firmament, et vient y troubler le songe bienheureux des divinités. Des cerfs, qui paissaient doucement la prairie, dans le paradis sacré de la forêt, ont succombé sous le plomb du chasseur. Leur cri de mort résonne encore dans la cime des arbres. Et, par toutes les régions de l’air qui en frémissent, court soudain une indignation furieuse et sauvage, elles envoient vers le Nord et vers le Sud la nouvelle du meurtre impitoyable commis sur ces enfans de la Nature. Les nuages accourent menaçans, noires armées, dont les sanglans étendards de flamme marquent l’approche ; ils convergent vers le lieu d’où s’éleva l’appel vengeur…


Alors, dans une série d’imprécations dont la variété et la puissance sont remarquables, le tonnerre réclame aux échos le nom du meurtrier, et adjure tous les refuges naturels de lui refuser un asile. Voici la conclusion de la légende :


Mais, hélas ! la recherche est vaine. Le coupable est à l’abri des menaces, il dort au loin dans son palais de granit… et les vengeurs ne l’ont pas trouvé. Ils ont obtenu pourtant une indication : après son crime, dit-on, il s’est reposé mollement à l’ombre de ce chêne. « Tu lui as prêté ton abri ? » Et tous les éclairs accourent vers l’arbre avec une haine sauvage. « Tu lui as prêté ton abri, à cet homme ? Tiens, voilà ton salaire. » Réduit en poussière, dépouillé de ses feuilles, privé de ses branches, le chêne gît maintenant en débris épars sous le premier rayon de l’aurore, et l’armée vengeresse se disperse.


Plus puissant encore dans son étrange concision est le morceau qui raconte la vengeance des corbeaux contre un autre chasseur : il y a là quelque chose d’inachevé, de suggéré, qui est populaire dans le vrai sens du mot[1] :

  1. I, 39.