plus audacieux, lorsqu’elle affirme à ses confesseurs[1] qu’ils seront capables de résister à la Mort aussi longtemps du moins qu’ils n’y verront pas eux-mêmes un bienfait et une délivrance. C’est un peu la conception biblique d’un Age avancé et d’une vieillesse patriarcale, récompenses de la fidélité aux lois du Seigneur. Wagner a su toutefois donner à cette idée ancienne une belle forme allégorique[2] :
Qu’importe le nombre de ses années à qui est assuré de conquérir à son gré la jeunesse ? En quoi l’Imperator se préoccupe-t-il de l’humble esclave noir nommé Mort, qui se tient aux portes du palais ? Un mouvement de la main du maître, et le valet indiscret se glissera peureusement au dehors : « Je reviendrai, pense-t-il, car, quelque jour, le maître m’appartiendra pourtant. » Oui, sans doute, quelque jour ; quand l’esclave noir aux cheveux crépus lui apparaîtra comme un bienfaiteur. Quelque jour ? Mais quand cela ? D’autant plus tard qu’on se sera élevé plus près de Dieu. Car elles sont enlevées par leur propre faute, les foules innombrables de l’humanité. Leurs crimes seuls les font sans volonté et sans pouvoir, butin facile pour le brutal valet.
« Ne viens-tu pas m’appeler en rassemblant tout ton courage, téméraire esclave ? Oses-tu bien exiger le commun tribut de moi, qui suis un homme libre ? » Et les flammes de la colère s’élèvent impétueuses. « C’est bien ; je me retire sur l’ordre du maître ; je vais me glisser sans bruit au dehors ; mais je reviendrai de temps à autre pour interroger de nouveau. — Oui, va, Mort. Tu pourras revenir ainsi de temps en temps. Peut-être quelque jour, dans bien longtemps sans doute, ton aspect me semblera-t-il attrayant. Mais quand cela ? Seule ma propre expérience me fixera là-dessus. » Et l’esclave abaisse ses paupières, recule, se retourne et s’éloigne. Les jours passent, les années s’écoulent sans obscurcir le regard du Juste. Et, cependant, chaque heure réclame son butin ordinaire, la mort exigeant, aujourd’hui comme demain, son repas, broyant avidement le tronc des chênes avec la fige des herbes. Qui pourrait compter et redire les retraites effarouchées de l’esclave, avant que l’appel du maître résonne enfin jusqu’au portail : « Ami, tends-moi maintenant la coupe de l’oubli ? »
Ne croit-on pas percevoir, dans la concision énergique de ce langage comme un écho des vaticinations de Zarathoustra sur la joie de vivre et sur la puissance de la volonté ?
Nous ne saurions mieux résumer la morale extensive de Christian Wagner qu’en lui laissant la parole une fois encore et en transcrivant la ballade qu’il a placée, dès les débuts de son œuvre, dans la bouche de son interprète, le bramine[3] :