Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affirme-t-il, la tragédie et la comédie grecques n’ont pas été jouées ailleurs que dans l’orchestre, en avant du proscénion. C’est dans l’orchestre que le drame tragique a pris naissance ; il s’y est développé ; il y est toujours resté. C’est là, devant la pauvre façade d’un proscénion construit en bois, qu’au Ve siècle, les acteurs représentaient les tragédies d’Eschyle et de Sophocle, les comédies d’Aristophane et de Phrynichos. C’est là qu’évoluait le chœur, si souvent mêlé à l’action. Imaginer les choristes groupés dans l’orchestre, tandis que des acteurs auraient joué sur une scène surélevée, c’est méconnaître ce que la tragédie grecque elle-même nous apprend ; c’est s’exposer à ne pas comprendre telle scène des Suppliantes et des Perses, où il est de toute nécessité que les choristes se trouvent de plain-pied avec les acteurs. Il nous est difficile de rouvrir ici le débat, de reprendre en détail les argumens de M. Doerpfeld, de discuter ceux qui ont été opposés à sa thèse. Aussi bien, si elle a été vivement combattue, il semble qu’elle soit acceptée, au moins en partie, par les adversaires de la veille. L’idée qu’au Ve siècle, au temps où la scène était simplement une baraque de bois, l’orchestre ait réuni à la fois acteurs et choristes, cette idée, considérée d’abord comme révolutionnaire, a trouvé beaucoup d’adhérens. « Le combat, écrivait naguère M. Georges Perrot, est à peu près terminé. Le groupe de ceux qui défendent dans son intégrité l’ancienne théorie diminue à vue d’œil. Que, du temps d’Eschyle et de Sophocle, la tragédie ait été jouée sur une scène qui aurait dominé l’orchestre, c’est ce que presque personne ne croit plus[1]. »

Pourtant, si M. Doerpfeld a cause gagnée en ce qui concerne le théâtre du Ve siècle, la controverse se poursuit au sujet des théâtres de pierre construits au IVe siècle et à l’époque hellénistique. À cette date, objectent les contradicteurs, les habitudes scéniques sonl changées. Le drame s’est dégagé du chant lyrique. Le rôle du chœur, singulièrement réduit, se borne à des intermèdes sans rapport direct avec l’action dramatique. En outre, la comédie, qui le supprime complètement, prend de plus en plus possession de la scène grecque. Le moment n’est-il pas venu où les acteurs, qui sont toujours en petit nombre, désertent l’orchestre, et montent sur le logeion, sur cette plate-forme sans

  1. Journal des savans, avril 1898, p. 204.