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attitude de médiateur entre la Révolution vaincue et l’ancienne dynastie restaurée. Alors, comblé d’honneurs et de richesses, il se croyait nécessaire à tous. Ressaisi de nouveau par l’opinion vengeresse, précipité du pouvoir, jeté dans l’exil, il expia jusqu’à sa mort, avec ses prétentions récentes, les souvenirs sanglans de son passé. Tous les partis, dont il s’était successivement servi et qui avaient cru un moment l’avoir conquis s’unirent pour infliger, sous des prétextes différens, la même flétrissure à sa mémoire.

Le contraste entre les deux situations et les deux époques suffirait à déterminer la moralité politique du personnage. Ce n’est pourtant ni à l’entrée ni à l’extrémité de sa carrière que Fouché a donné sa vraie mesure ; c’est dans l’intervalle, à ce rang secondaire où il excella à ne servir et à ne trahir qu’à demi, auprès de l’homme le plus puissant de son temps et le plus jaloux de sa puissance, Napoléon. Celui qu’une de ses fidèles amies saluait de ce singulier compliment : « Vous avez l’air d’une fouine, » se tapit et travailla à son gré dans le nid de l’aigle. Il s’imposa à l’Empereur depuis l’heure du premier avènement jusqu’à celle de la catastrophe finale. Le 19 brumaire an VIII, il annonçait un des premiers le Consulat à la population parisienne ; le 22 juin 1815, il arrachait au vaincu de Waterloo sa seconde abdication et le poussait sur la route de Sainte-Hélène.


I

Fouché venait de trouver sa voie lorsque Bonaparte, échappé d’Egypte, reparut en France. Ministre de la police depuis trois mois, il s’occupait déjà moins de protéger les hommes en place que de se ménager un bon accueil auprès de leurs successeurs probables. On le savait plus que sceptique sur la durée du régime directorial, attendant, comme Sieyès, le destructeur de la Constitution et le sauveur de la Révolution : mince personnage en somme, mais avec lequel, vu les circonstances, il fallait traiter. Ses relations avec les diverses coteries du monde officiel le rendaient précieux au fondateur d’un parti nouveau. Il s’était offert aux modérés de l’an V, avant de servir les fructidoriens. Rentré au pouvoir sous l’enseigne jacobine, il venait de faire accepter, par des mesures sans portée contre la réaction, celles dont il