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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/374

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accablait ses amis devenus compromettans. On le supposait donc déjà prêt à toutes les besognes, y compris celle qui consiste à déserter son poste et à y introduire l’ennemi. Enfin on le savait maître de la seule force qui représentât dans Paris, avec l’armée, l’ordre public.

Après des pourparlers auxquels se mêla Joséphine, Fouché alla au-devant de Bonaparte ; il l’encouragea tout bas, par des paroles où les promesses démentaient les réticences et, dit-on, par des subsides sur les fonds de son département. Les forces dont il disposait tinrent Paris immobile, tandis que les soldats avaient raison des députés à Saint-Cloud ; puis, le succès assuré, il présenta publiquement le vainqueur comme couvert du « génie de la République, » de cette République qu’il déclarait consolidée à jamais et où il venait tout simplement d’assurer sa situation personnelle pour de longues années. Maintenu dans ses fonctions, Fouché suivit dès lors librement sa vocation et enseigna de haut à la France que la crainte de la police était le commencement de la sagesse, comme ministre du Premier Consul (10 novembre 1799-15 septembre 1802), de l’Empereur (10 juillet 1804-3 juin 1810), du gouvernement des Cent Jours (21 mars-23 juin 1815), et du roi Louis XVIII (9 juillet-24 septembre 1815).

La police générale, telle qu’il la dirigea, n’était pas une invention révolutionnaire. Ses origines nous ramènent à l’ancien régime, mais ne remontent pas plus haut que l’avènement de la monarchie absolue. Elle se personnifie successivement dans le lieutenant criminel de robe courte imaginé par François Ier, dans les intendans de justice, police et finances créés par Richelieu, dans les lieutenans de police institués par Louis XIV. La Reynie, d’Argenson, Sartines, Le Noir, bien que tenus à l’écart des grandes affaires, firent valoir, partout où le silence dans l’action s’imposait, la raison d’Etat contre les lois du royaume et contre ce que la France allait appeler les Droits de l’homme.

On sait comment, en 1789, l’anarchie se déchaîna derrière la Révolution et rendit impuissante l’action des « bons citoyens, » représentés par les gardes nationales. Dès 1792, lorsque Manuel publiait contre les abus du despotisme détruit sa Police dévoilée, cette institution renaissait avec ses pires pratiques, la délation, l’incarcération sans mandats réguliers, l’extension indéfinie du nombre des suspects ; elle se développa et de défensive devint