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neuchâteloise. Cet homme, ami de la nature et botaniste à ses heures, se montrait particulièrement redoutable, dans ses tête-à-tête avec les prévenus, par l’art avec lequel il savait les transformer en coupables. La légende contemporaine le fait descendre dans les cachots déguisé sous ses anciens habits, afin de surprendre, par un abus sacrilège de la confession, les secrets de ses prisonniers. Plus justement encore que son chef, il eût pu dire à l’Empereur : « Dans toute conspiration tramée par deux individus, il y en aura au moins un qui sera dans ma confidence. »

Sous cette direction, le personnel de la police offrait une image assez exacte de la société d’alors. Toutes les classes, tous les partis s’y étaient laissé attribuer une place. Les amis et collègues de Fouché de Nantes furent naturellement les plus empressés à profiter de son changement d’état. On trouve autour de lui des survivans des Comités de la Convention : La Vicomterie, qui espionne pour le successeur de ces rois dont il a compté les crimes dans un volumineux pamphlet ; Barère, aujourd’hui encore un peu plus bas que Fouché dans l’opinion des hommes, faute de leur en avoir imposé longtemps comme lui, et réduit au rôle de délateur officieux et de pamphlétaire soldé. De simples comparses du monde jacobin se sont joints à eux : Real, l’ex-accusateur public : Mengaud, qui a « surveillé » les Suisses sous le Directoire ; Chépy, l’égorgeur de Septembre, dont les sinistres exploits ont fourni matière à un gros volume.

Parmi les hommes d’ancien régime, la police impériale recruta ceux que la Révolution avait ruinés, déclassés, mis à la merci du pouvoir ; mais les préférés du ministre furent encore les oratoriens rendus à la vie civile. Gaillard, son plus intime confident, celui auquel il confia ses papiers en partant pour l’exil, sortait de leurs rangs. Les lettrés à gages composent un autre groupe. Sceptiques, sauf à l’endroit de leurs petits talens, écrivains de second ordre comme Lemontey ou Lacretelle jeune, soi-disant poètes comme Esménard, ils travaillent à diriger l’esprit public, c’est-à-dire à plier l’opinion populaire dans le sens de la pensée souveraine ; ils frappent d’interdit ou mutilent les œuvres de leurs confrères, vivans ou morts. On regrette de rencontrer un moment dans cette compagnie le grave Daunou, guerroyant de la plume, contre le pape et le tsar, pour la plus grande gloire de Napoléon.

Que dire du personnel de la police secrète ? On rencontre là