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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/378

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des domestiques et de grandes dames, des nobles tarés à côté d’échappés des clubs, les uns payés « à la pièce, » les autres pourvus d’appointemens fixes. Sur ces listes, la malignité publique inscrivit, un peu au hasard, des noms plus ou moins illustres, plus ou moins recommandables. Il serait souvent ici aussi téméraire de citer que de nier. Le ministre qui a employé à la dérobée ces auxiliaires de rencontre les a fait oublier autant qu’il a pu. Ses affidés, lorsqu’ils s’appellent Mehée ou Montgaillard, l’accusent presque autant que ses victimes.

Placé au gouvernail de cette redoutable machine, Fouché lui donnait son mouvement quotidien, de cette main de fer gantée de velours dont parlait déjà Mazarin. Les plus ardens depuis à rappeler ses méfaits passés paraissaient alors les plus disposés à les oublier. Il en imposait à tous par son intelligence ouverte, son esprit délié, sa puissance et sa méthode de travail, surtout par les aptitudes acquises au cours des diverses éducations que sa vie antérieure lui avait données. La première, la plus profondément imprimée en lui, venait de l’Oratoire. En 1793, quand il faisait tomber le couperet, il croyait encore « tenir la férule. » Passant de la classe au club, comme s’il eût continué à imposer la marche en rang et le silence, il traita les hommes ainsi qu’il avait traité ses élèves ; il professa de plus belle, à l’instar du pédant en chaire, le dédain des idées d’autrui, la haine de la discussion libre. Sous l’habit brodé du ministre, il demeurait un représentant en mission permanente, chargé par délégation de la tutelle de tous les Français, fauteurs ou victimes de la Révolution.

Qu’il ait assumé ainsi une lourde responsabilité, le jugement de l’histoire sur son compte le dit assez haut ; elle s’allège pourtant, si elle laisse découvrir au-dessus de lui le souverain ne cessant de le stimuler, de lui notifier les mesures à prendre, de lui désigner les têtes à frapper. Au début de son règne réparateur, Bonaparte attribuait sans hésitation à la justice la mission de corriger les erreurs de la police. Le temps, l’exercice du pouvoir atténuèrent, puis anéantirent ses scrupules. Comme, dès le premier jour, il estimait toute influence ne venant pas du gouvernement un crime en politique, il fut promptement amené à mettre les mesures préventives et arbitraires sur la même ligne que les lois. Une fois l’usage des « voies extraordinaires » introduit, l’abus suivit de près, au point de faire dire à l’ex-conventionnel Treilhard, devant Napoléon, ce mot qu’on croirait