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cardinal de Belloy visitant la famille Fouché et passant, la main levée, devant la femme et les enfans du ci-devant conventionnel agenouillés devant lui. Ce n’est pas un mot ordinaire que celui de l’archevêque Lecoz l’appelant l’« homme de la Providence. » Ce n’est pas enfin un geste banal que celui de Maury lui envoyant de Rome sa bénédiction en 1815. Les femmes, comme les prêtres, subissaient sa fascination. Mme de Custine, dont le mari avait péri sous la Terreur, la princesse de Vaudémont, née Montmorency, firent de lui à certains égards leur directeur de conscience politique et lui demeurèrent fidèles même après sa dernière chute. Les Luynes, les Polignac, les Rivière, les Narbonne, les Bourmont, cultivèrent avec succès sa bienveillance.

Où Fouché nous apparaît sous son jour le moins fâcheux, c’est dans ses tentatives de médiation entre la toute-puissance ombrageuse de l’Empereur et l’indépendance des écrivains. Il s’estime libéral, en accordant proprio motu à Chateaubriand la permission de se censurer lui-même, de rayer de sa main les passages supposés dangereux de son livre des Martyrs, avant la publication. Il est vrai qu’il vient de supprimer le Mercure pour avoir laissé passer un article de lui et qu’il va faire fusiller son cousin Armand à la plaine de Grenelle. Mme de Staël fut également conviée à la reconnaissance ; on sait qu’elle passa dix ans à ruser avec les arrêtés qui lui interdisaient le séjour de Paris et la vue du ruisseau de la rue du Bac. La seule fois où elle parvint à les éluder, ce fut lorsqu’elle put, grâce à la tolérance du ministre, s’établir à Acosta, chez les Castellane, et y travailler à peu près tranquillement à la composition de sa Corinne.

Les relations de Fouché et de Charles Nodier, alors à ses débuts, sont également intéressantes. En 1802, une satire lyrique anonyme intitulée la Napoléone se répandit dans le public et réjouit les adversaires secrets du régime. On en rechercha inutilement l’auteur jusqu’au jour où un petit jeune homme venu récemment de sa province, nommé Nodier, jugea intéressant pour sa réputation et en somme peu dangereux pour lui d’en revendiquer la responsabilité. Il fut arrêté de ce fait ; mais Fouché, se rappelant avoir connu son père à l’Oratoire, relâcha bientôt l’imprudent poète, à charge de racheter ses rimes séditieuses par d’autres conformes à la pensée du gouvernement. Pour prix de sa libération, Nodier composa sa Prophétie contre Albion, où le tyran Sylla, flétri dans la Napoléone, était changé en Scipion