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merveilleuse, de son immense supériorité, de sa philosophie d’opinion, de son aversion pour les mesures vexatoires, de sa propension pour les classes élevées, de son aversion secrète pour les jacobins d’autrefois, dont il aurait tout à redouter. Il semblait que la puissance personnelle de Fouché balançât celle de l’Empereur… »

Celui que Mme de Chastenay appelait le « monarque de l’opinion » disparut à temps pour n’avoir pas, soit à exécuter, soit à contrecarrer de nouvelles et graves décisions. Napoléon venait de ressusciter officiellement les deux institutions typiques de l’ancien régime : la censure (7 février) et les prisons d’Etat (3 mars). Ces deux décrets, précédés de considérans tant soit peu hypocrites en faveur de la liberté de la presse et de la liberté individuelle, apportaient en somme à l’arbitraire des règles qui limitaient, au profit du bon plaisir de l’Empereur, le bon plaisir du ministre ; ils eussent condamné Fouché à obéir sans apporter, de son autorité propre, des tempéramens à son obéissance. Le duc d’Otrante n’eut pas à supporter cette dernière épreuve, non plus qu’à partager la responsabilité des actes qui, de 1810 à 1814, détachèrent peu à peu le peuple de son héros. Il ne fut pas requis de diriger la conscription des héritières au profit des parvenus, de jeter Mme de Staël sur la route de Russie, de mettre le sac au dos aux séminaristes de Tournay et de Gand. Son successeur Savary prit à la lettre la consigne qui lui fût immédiatement donnée : « Il n’appartient pas à la police de rien changer aux ordres que j’ai pris. » Il se conduisit en grand prévôt des affaires civiles, devant qui tout opposant prenait figure de déserteur ou de réfractaire. Par leur action indépendante, Talleyrand et Fouché dissimulaient un peu le caractère autocratique du régime. Délivré d’eux, Napoléon, entre les ducs de Rovigo et de Bassano, mène au gré de sa fantaisie toute-puissante la police comme les affaires étrangères et succombe ainsi devant la coalition européenne en 1813 et devant l’opinion française en 1814.


IV

Pendant la longue crise politique caractérisée par la chute de l’Empire, les Cent-Jours et les deux Restaurations, à chaque convulsion nouvelle, Fouché reparaît, avec l’attitude d’un empirique complaisant et dangereux. Les fonctions qu’il a exercées lui ayant livré le faible et les secrets de chaque parti, il s’abouche