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ont caressés. Quelle science de l’éventail ! Quelle jouissance pour elles à palper les belles étoffes ! Et ces mains qui savent être cruelles, avec quelle sûreté légère elles pansent les blessures d’un ami ! Elles sont agiles, discrètes, officieuses, merveilleusement habiles à nous tendre des pièges où trébuche notre vanité Car la vanité des Japonais, qui est immense, ne les aveugle jamais au point d’oublier la nôtre et de ne pas la surprendre.

Comme les femmes, ils ont un invincible désir de plaire, même à ceux dont ils pourraient négliger la conquête. Leur coquetterie n’a pas besoin pour s’exercer d’un intérêt précis : il leur suffit que ses petites victoires les confirment dans la bonne opinion qu’ils nourrissent d’eux-mêmes. Puis elles assurent autour d’eux cette harmonie des apparences nécessaire à leurs sens délicats. En ce monde où les moindres sensations ont un retentissement mystérieux et profond, il importe que les oreilles ne soient déchirées d’aucune parole violente ni les yeux offusqués d’aucun geste excessif. Ne raillez pas leurs théologiens, s’ils connaissent mieux peut-être que les livres sacrés la valeur esthétique des plis d’un vêtement, ni leurs philosophes s’ils attachent le même prix au style d’un bouquet qu’à l’ingéniosité d’une pensée nouvelle. C’est par cette finesse de tact, cette perception voluptueuse ou douloureuse des détails les plus subtils qu’ils sont vraiment originaux et que s’accuse leur génie féminin.

Songez aussi qu’ils n’inventent rien, mais qu’ils accommodent les inventions d’autrui à leur humeur, parfois exquise. Leur histoire intellectuelle n’est, comme souvent celle des femmes, que le roman de leurs amours. Ils se sont épris du Chinois et durant des siècles, ils ont japonisé des chinoiseries. Aujourd’hui l’Européen leur a tourné la tête. Et leur promptitude d’assimilation donne à leur curiosité un faux air de sympathie et d’abandon. Mais leur docilité superficielle recouvre un lent travail de déformation, et, dans les images qu’ils nous renvoient, nous reconnaissons les traits de cette race prenante et fuyante, où je ne sache pas qu’aucune manifestation artistique, littéraire, philosophique ait dépassé l’étendue de l’intelligence féminine. Ajoutez enfin leur étrange amalgame de naturel et d’artifice, leur inconstance, leurs engouemens, et la perpétuelle énigme de leur sourire. Qu’on pénètre dans leurs maisons ou dans leurs âmes, c’est la femme invisible qui nous attire en eux.

La bible des samuraïs proclamait que « la femme est aussi