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spectacle ne s’y prête mieux qu’un concert de physionomies souriantes. Ecole d’hypocrisie, murmure l’Européen ! Appellerez-vous hypocrisie la retenue d’un enfant qui se réprime et se compose dans la chambre d’un malade ? Il semble toujours qu’il y ait quelque part, dans les maisons japonaises, une pièce où sommeille une aïeule que les éclats intempestifs de la vie pourraient réveiller. Cette aïeule, on la connaît, c’est la Nature.

Mais ses domaines, les jardins et les bois, sont largement ouverts et la petite fille peut s’y égarer sans crainte : il n’y souffle aucune indépendance. Le bouddhisme et l’art se sont établis au centre de ce merveilleux empire, en ont capté les sources, animé les pierres, divinisé les fleurs, sanctifié les routes, et, là où la matière échappait à leur puissance, ils s’y sont adaptés avec tant de finesse qu’elle paraît encore leur ouvrage. De la montagne à la plaine, tout conspire au même genre de beauté. Le sens des choses n’est point livré à l’interprétation personnelle ; le concile des ancêtres l’a fixé pour jamais. Dans le commerce avec les arbres et les plantes, l’enfant ne prend pas, comme chez nous, des libertés de sauvageon. Les spectacles qui nous inspirent des rêves indociles lui inculquent des principes d’ordre et d’harmonie. Leur pittoresque ne lui semble pas moins voulu que celui des jardins minuscules qui l’imitent si parfaitement ; et, pour lui, la grâce des vieux plus tordus résulte moins de leur caprice que d’une longue soumission à des bienséances éternelles. Le retour des saisons ramène chaque année à tel jour, à telle heure, les fêtes des cerisiers, des iris, des glycines, des azalées, des chrysanthèmes. La terre divine tient table ouverte avec l’exactitude des bonnes hôtesses.

Et surtout elle enseigne une tendre pitié pour tout ce qui vit et luit. Les garçons, que leur sang généreux emporte, s’amusent parfois à tourmenter les bêtes ; leurs sœurs entendent mieux l’avertissement bouddhiste : « Tu renaîtras dans la douleur, si tu fais des choses cruelles. » La petite Japonaise qui poursuit un papillon et invite cette jolie lumière à se poser sur sa main, n’y voit pas, comme nos enfans, un jouet plus délicat et plus fragile : elle y sympathise déjà naïvement avec cette vie mystérieuse dont elle-même n’est qu’une parcelle. Le bouddhisme lui a tendu ses deux lacets dans les pétales des fleurs, dans l’écorce des arbres, dans le sommeil doré des pierres, dans les diamans des eaux courantes, dans le bruissement des insectes, dans les