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d’éviter la gaucherie et de rester toujours, même dans les heurts imprévus, naturelle et flexible. Cet assouplissement physique est une sorte de préparation sinon à la vie morale, du moins à la vie décente.

Dès qu’elle a fait l’apprentissage de ses gelas et que ses pieds, aussi adroits que des mains, agrippent le cordon de ces patins et s’y maintiennent sans broncher, on lui met sur le dos sa sœur cadette ou son petit frère, et la voilà chargée d’une autre existence que la sienne. Les rues des villes, les cours des habitations, les campagnes sont pleines de ces enfans à deux têtes, l’une souriante et l’autre vaguement endormie. Ces gentils monstres en robe claire courent, sautillent, se lancent des pelotes, se renvoient des volans, si bien accoutumés à leur fardeau maternel que ni son poids ni sa responsabilité ne semblent gêner leurs mouvemens ou altérer leur bonne humeur. Il ne me souvient pas d’en avoir vu manifester ces sentimens excessifs de désespoir et de colère qui sont chez nous le propre de l’enfance.

La petite Japonaise apprend très vite à se maîtriser, et sans qu’on la nourrisse de beaux préceptes ou qu’on stimule sa coquetterie. On ne lui dit pas qu’il faut se posséder ni qu’elle deviendra laide si elle pleure, — ce que nous disons d’ordinaire à nos enfans avec des gestes et des grimaces dont nous ne sentons pas nous-mêmes toute l’inconséquence et le comique. On lui représente que le respect filial, et la courtoisie ne souffrent pas qu’elle trahisse devant ses parens ou devant des étrangers la moindre émotion susceptible de leur déplaire ou de les assombrir ; — et on lui donne l’exemple. Son père ne compromet jamais son prestige de maître en brutalités extérieures ; sa mère, dont elle ne devinera que plus tard les chagrins et les peines, présente toujours aux yeux du mari un visage qui respire le contentement et observe envers les domestiques toutes les règles de la politesse. Elle n’entend que formules aimables et douces réprimandes. Ces formules peuvent cacher des ressentimens, des jalousies, des méchancetés ; mais l’éducation japonaise se propose moins de guérir les âmes de leurs maladies originelles que de les rendre sociables.

A refouler ainsi les émotions douloureuses, même les plus légitimes, je ne sais si elles éprouvent les félicités que nous promet la morale stoïcienne. D’ailleurs leur propre satisfaction n’importe guère : il ne s’agit que de celle des autres, et nul