Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

méthodisme ne les afflige pas d’une paire de lunettes : elles ont une allure plus dégagée et portent, comme symbole de leur émancipation, au lieu de leur coiffure traditionnelle, dont l’édifice compliqué nécessitait le secours d’autrui, un chignon négligemment enroulé sur le haut de la tête. Les gamins ne s’y trompent pas, et leur jettent parfois en passant un terme de mépris dont le sens équivaut, je crois, à « bâtarde d’Européen. »


Ce petit monde est encore bien limité, mais, composé en partie d’institutrices, son action ne peut que s’étendre et se ramifier à l’infini. Les Japonais n’ont jamais répugné à l’idée d’instruire la femme et, des femmes asiatiques, la Japonaise fut assurément la plus cultivée. Son ancienne culture ne différait guère de celle des jeunes gens : on développait presque uniquement sa dextérité et sa mémoire, et c’était d’ordinaire dans l’intérieur de la famille que les maîtres venaient lui enseigner l’art de tenir le pinceau et de retenir l’alphabet national, car on réservait aux hommes l’étude des caractères chinois. Aujourd’hui, sur tous les chemins, vous rencontrez des fillettes et des jeunes filles qui s’en vont aux cours, leur petit paquet de livres délicatement enveloppé d’une étoile dont le dessin représente le vol d’un oiseau, une branche de cerisier, une souris grignotant le squelette d’un chat.

J’ai visité l’Ecole des Filles nobles, ce Saint-Cyr de l’Impératrice, et l’Ecole normale supérieure et des écoles primaires. Ah ! les beaux palais scolaires et les étranges écoles ! Imaginez des couloirs pleins de mignonnes révérences et de grandes pièces silencieuses où maîtres et maîtresses chuchotent leurs cours ; des classes où les écolières écrivent sur des tables européennes et des réfectoires où elles mangent sur des tatamis ; des salles où l’on charge des bouteilles de Leyde et des chambres où l’on décompose la cérémonie du thé ; des conférences sur la chimie et des leçons sur les bouquets de fleurs ; des mains qui recommencent pour la vingtième fois un caractère chinois et des lèvres qui balbutient une page de français ; des figures géométriques et des copies de kakémonos ; le buste en plâtre d’Alcibiade et la tête de Confucius ; l’aigre musique du koto et le quadrille des Lanciers sur un piano d’Erard ; des danses où tous les éventails se replient d’un-même geste avec le bruit du vent dans les feuilles sèches, et des mouvemens militaires, marches de flanc,