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apporté notre bijouterie, notre or et notre doublé, nos diamans et nos strass. On voit de l’or faux briller aux doigts des servantes, et on a vu des princesses qui, ne sachant où mettre leur rivière de diamans, en décoraient l’architecture de leurs cheveux. Nous ne nous sommes point contentés de frelater et de dénaturer sa coquetterie ; nous avons dépravé sa galanterie. Pendant que les clergymen, — qui sans doute n’avaient jamais traversé certains quartiers de Londres, de Berlin ou de New-York, — sonnaient leur trompette de Josué autour du Yoshiwara, les marchands et les touristes occidentaux se jetaient dans la place et y acclimataient des façons indécentes dont les Japonais étaient d’abord scandalisés et dont les Japonaises restaient flétries. D’autres, atteints d’une sentimentalité ridicule, ne craignaient pas de promener en public des fantaisies de bas étage que, jusqu’ici, les plus strictes convenances avaient reléguées dans l’ombre. A Yokohama, à Robe, à Nagasaki, à Tokyo même, partout où sévit le cosmopolite, la courtisane a déchu de sa distinction séculaire, et les vraies geishas deviendront bientôt aussi rares que nos légendaires grisettes.

Mais, si les Européens ont des grossièretés qui détonnent dans la douce atmosphère du Japon, ils révèlent à l’usage une tendresse plus intime et plus confiante que les fils des samuraïs. On a remarqué que les Japonaises qui avaient été mariées ou longtemps liées avec eux n’acceptaient plus de rentrer sous l’ancien bercail. Elles sont perdues pour la communauté. D’autre part, les familles établies au Japon, diplomates, professeurs, pasteurs, commerçans, leur prouvent sans cesse que, dans le mariage, la place de la femme n’est point à cinq ou six pas derrière son mari et que les sages de la Chine ont dit une sottise de plus en considérant les deux époux comme deux étrangers. Les dames japonaises forcées par leur situation de rendre visite aux Européennes ont pris goût à ces devoirs de société. Elles se réunissent maintenant entre elles, organisent des five o’clock et des comités de bienfaisance où l’on cause toilette — et mari. Enfin et surtout, la femme est sortie de l’effrayant dilemme dont la vieille civilisation étreignait son avenir : mariage ou débauche. L’organisation des écoles, des bureaux de poste, des téléphones et des autres services imités de l’Europe lui a créé des droits à la solitude et à l’indépendance. Les Japonaises affranchies se reconnaissent aisément, même quand le