cette vieille châtellenie perdue dans les bois, rendez-vous de chasse ou rendez-vous d’amour, est pour un drame un cadre fait à souhait : les souvenirs de plaisir et de violence qui y planent font peser sur les êtres cette espèce d’influence obscure et impérieuse qui émane des choses. C’est en un seul jour que tiendront tous les événemens, ou plutôt il y suffira de quelques heures de nuit : la nuit est déjà tombée quand la pièce commence ; quand elle s’achève, le jour n’est pas encore levé. C’est que l’auteur a pris ses personnages au moment précis et probablement unique de leur existence où ils deviennent personnages de drame, puisque c’est celui où leurs intérêts se heurtent, où leurs passions entrent en conflit. Dans ces quelques minutes décisives se résume tout ce qui a précédé et s’annonce tout ce qui pourra suivre. Et voilà bien pourquoi, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le cadre des unités s’imposait à la pièce de M. Hervieu, du moment que l’art du théâtre redevenait pour lui l’art de mettre à la scène l’exposé d’une crise morale.
Tel est le système. Appliqué avec rigueur, il va d’abord servir à nous débarrasser de cette intrigue ingénieuse et postiche qu’il était de règle, depuis Scribe, de surajouter aux élémens essentiels fournis par la donnée même, et de jeter sur le sujet comme un filet aux mailles savamment compliquées. La situation est posée dès le début : elle contient, déjà enfermé en elle, tout le drame qui va bientôt éclater ; inutile d’y faire intervenir, par la suite, aucune circonstance accidentelle et de faire appel au concours du hasard : rien n’arrivera, sinon ce qui de toute nécessité devait arriver. Deux frères, Raymond et Gérard de Gourgiran, habitent ensemble la maison héréditaire : ils sont mariés : Gisèle est la femme de Raymond, et Léonore est la femme de Gérard. Honnêtes maris, ils ont foi dans l’honnêteté de leurs femmes. Or nous apprenons qu’un certain M. de Vivarce, hôte des Gourgiran, est l’amant d’une des deux femmes. De laquelle des deux ? Nous ne le savons pas. C’est ici l’énigme. C’est l’inconnue à dégager. Vivarce, qui est logé dans un pavillon voisin, vient la nuit rejoindre sa maîtresse. Cette nuit, justement, les deux frères ont décidé de se mettre en expédition pour surprendre des braconniers à la lisière de leur domaine. Une catastrophe est inévitable. Nous savons qu’elle se produira et comment elle se produira. C’est donc une même action qui du début à la fin se continuera, sans que rien en vienne déranger la marche naturelle. Depuis que le genre Scribe est passé de mode, la mode nouvelle est de répéter que, dans une pièce de théâtre, il ne doit rien se passer. La formule serait juste, légèrement retouchée : « dans