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poète. C’était un écrivain de talent, mais une âme médiocre, qui a épuisé pour Tibère les flatteries les plus rebutantes. Pour leur donner plus de piquant et de nouveauté, il a imaginé une fois de les mettre dans la bouche de gens qui d’ordinaire ne flattaient pas. Il suppose qu’en Germanie, sur les bords de l’Elbe, un chef barbare, dans sa barque faite d’un tronc d’arbre, s’approche de la rive que les Romains occupaient, demande à voir le prince, et, après l’avoir contemplé un moment, s’éloigne en disant : Hodie vidi Deos ! Ajoutons que, si Velleius loue Tibère, il célèbre encore plus Séjan, et l’éloge du ministre montre bien ce que vaut l’éloge du maître. Je crois donc que, si nous avions encore les ouvrages écrits à Rome du vivant des Césars et en leur honneur, l’opinion que nous avons d’eux n’en serait pas modifiée, et que nous penserions, comme Tacite, que ce sont des panégyriques dictés par la bassesse ou par la peur.

Les écrits composés à la même époque dans les provinces nous sont rarement parvenus. Il est probable que les Césars y étaient bien traités, et je crois que les éloges qu’on faisait d’eux étaient sincères. Rien n’est plus aisé à comprendre. Les provinciaux ne connaissaient le gouvernement impérial que par ses bienfaits ; ils pouvaient prendre au sérieux les complimens que le Sénat prodiguait aux empereurs et que leur apportait le Journal officiel ; ils souffraient peu de leurs folies, car Tacite a bien raison de dire « que les méchans princes pèsent surtout sur leur voisinage. » On a remarqué que Philon le Juif juge assez favorablement Tibère. Il trouve « qu’il était grave, sévère, et qu’il n’avait souci que des choses sérieuses. » Ces éloges, après tout, sont mérités, et, s’il ne les tempère pas par quelque blâme, c’est que les démêlés du prince avec le Sénat et les grands personnages, ne l’atteignant pas, le laissent indifférent. Il ne songe qu’à son petit pays de Judée, qui s’est bien trouvé de l’administration de Tibère. Ce n’est pas que ce prince eût une tendresse particulière pour les Juifs. Il punit très sévèrement ceux de Rome de quelques friponneries dont ils s’étaient rendus coupables, mais, dans leur pays, il les laissait tranquilles pour ne pas troubler la paix de l’empire. Philon n’en demandait pas davantage, et, quand il songe à Caligula, qui voulait forcer tout le monde à l’adorer, Tibère, en comparaison, lui paraît un très bon prince. Du reste, si Philon, qui n’a vu Tibère que de la Palestine, ne lui est pas défavorable, un autre Juif, Josèphe, qui a longtemps vécu à