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si nombreux et si puissans qu’ils troublaient les assemblées populaires et qu’un orateur qui ne voulait pas soulever des tempêtes était obligé de les ménager. Ils formaient à Rome une population misérable propre à tous les métiers. Tandis que les hommes vont faire du bruit au forum pour le compte des agitateurs qui les payent, les femmes disent la bonne aventure à domicile, les enfans, dressés au métier par leurs mères, tendent la main aux passans dans les bosquets d’Egérie, à côté des marchands d’allumettes soufrées, des marins qui apitoient les passans en montrant des tableaux qui représentent leur naufrage, et d’autres mendians de cette sorte. Ils habitaient, au delà du Tibre, ces faubourgs où affluait, selon le mot de Tacite, tout ce qu’il y a d’infamies et d’horreurs dans le monde, et qui ressemblaient sans doute aux quartiers sordides où ils s’entassent aujourd’hui dans les grandes villes de l’Orient. Tout se réunissait donc, ce qu’on voyait et ce qu’on entendait dire, pour donner d’eux une fâcheuse opinion à des gens déjà pleins d’un mépris superbe à l’égard de ces nations de l’Asie « nées pour la servitude. »

Voilà ce qui indisposait Tacite contre les Juifs beaucoup plus que leurs croyances religieuses. Les cultes étrangers étaient soufferts à Rome sous l’Empire et l’on y honorait publiquement les dieux de tous les pays. Tacite n’en paraît nulle part scandalisé, et même il s’est occupé, dans ses ouvrages, avec curiosité, presque avec sympathie, de quelques-unes de ces religions. Il est probable qu’il n’aurait pas été plus sévère pour celle des Juifs, s’il n’avait eu des motifs particuliers de l’être. Quand il parle de quelques-uns de leurs usages les plus singuliers, l’abstinence du porc, le repos du septième jour et de la septième année, l’emploi du pain sans levain, il ajoute qu’ils leur viennent de leurs pères, antiquitate defenduntur, et, pour Tacite, tout ce qui est antique est respectable. Même l’adoration de la tête d’âne, dont on les accuse, ne paraît pas l’étonner ou l’indigner beaucoup les Égyptiens, qui passent pour des sages, rendent bien un culte aux chats et aux légumes. Je crois même qu’il leur aurait pardonné l’habitude qu’ils avaient d’attirer à eux les fidèles des autres cultes, quoique rien ne fût plus étranger à l’esprit de la religion romaine. C’était un usage, dans toutes les religions orientales, de chercher à faire des prosélytes des Romains, et surtout des Romaines de vie légère, fréquentaient les temples