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française. Et, à la vérité, d’autres que Vaugelas, dans le même temps que lui, ont travaillé comme lui, avec lui, à cette transformation : Chapelain, par exemple, et Ménage, et Patru, dont nous avons d’intéressantes Remarques, additionnelles à celles de son ami. Mais Patru, Ménage et Chapelain ont fait beaucoup d’autres choses, qu’ils eussent d’ailleurs aussi bien fait de ne pas faire, pour ce qu’elles leur ont rapporté d’honneur ! Vaugelas, lui, s’est renfermé dans la tâche étroite qu’il s’était assignée. Sa traduction de Quinte-Curce elle-même n’était, à ses yeux, qu’une « démonstration » ou une « illustration » je ne veux pas dire des règles, mais au moins des conseils qu’il avait proposés dans ses Remarques. Ni poète, ni bel esprit, il n’a voulu être qu’un curieux de beau langage, un guide, plutôt qu’un maître de l’art de parler et d’écrire, un sage et prudent conseiller, mais non pas un tyran de la langue. C’est donc justice que son nom demeure inséparable d’une transformation dont il a été l’ouvrier le plus désintéressé, et qu’il continue, dans notre histoire littéraire, de rappeler le souvenir du plus grand effort, et le plus heureux, qu’on ait peut-être jamais fait pour donner à une langue les qualités que l’on voulait qu’elle eût.


I

Car, on ne croyait pas, en ce temps-là, que les langues fussent des « organismes, » dont le développement ou la fortune littéraire ne dépendrait à aucun degré de l’action ou de la volonté de ceux qui les parlent ou qui les écrivent ; et, au contraire, on professait, non seulement qu’il appartient aux écrivains de régler l’usage d’une langue, mais encore qu’en sachant s’y prendre, on peut lui donner ou lui communiquer les qualités qu’elle n’a pas.

Je ne discute aujourd’hui ni l’une ni l’autre de ces opinions. J’incline seulement à penser que, si nous ne pouvons pas faire d’une langue absolument tout ce que nous voulons, ce qui est assez évident, il ne s’ensuit pas que nous n’en puissions cependant rien faire. Dans la mesure où une langue n’est qu’un instrument tel quel de communication ou d’échange des besoins plutôt que des idées — comme le hottentot, par exemple, et le maori, — il est possible, il est même vraisemblable qu’elle se développe en son cours sous la double influence des circonstances