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tort également de se le représenter comme un « tyran des mots et des syllabes, » sous la figure d’un Malherbe, ou même sous les traits d’un Boileau. « Il n’y a point de locutions, aime-t-il à dire et à redire, qui aient si bonne grâce en toutes sortes de langues que celles que l’Usage a établies contre la règle, et qui ont comme secoué le joug de la grammaire. » On ne saurait être plus explicite ; et de là, rien ne serait plus aisé, si l’on le voulait, que de déduire une théorie de l’incorrection de génie. Mais précisément, parce qu’il a, si l’on le veut, le préjugé de l’usage, Vaugelas n’a aucun des autres préjugés qui offusquent l’esprit de la plupart des grammairiens. C’est Ménage qui « pédantise, » c’est Chapelain qui ratiocine, c’était Malherbe qui tranchait, qui légiférait, et qui promulguait. Mais c’est Vaugelas qui est « moderne, » et on vient de le voir, mais on le voit bien mieux encore, dans les endroits de ses Remarques où il parle de l’autorité des femmes en matière de langage et de style.


IV

Qu’il y mette quelque complaisance, à peine a-t-on besoin de le dire. Il est de l’hôtel de Rambouillet, et « l’incomparable Arthénice » a eu des courtisans plus brillans, elle n’en a pas eu de plus assidu que Vaugelas. Que cette complaisance passe même quelquefois les bornes, on n’en saurait disconvenir, et on le voudrait, quoique galant, souvent plus ferme sur les principes. Il écrit, par exemple, sur le mot ouvrage : « Soit que l’on se serve de ce mot pour signifier quelque production de l’esprit, ou de la main, ou de la nature, ou de la fortune, il est toujours masculin, comme : « Il a composé un long ouvrage, un ouvrage exquis, c’est le plus bel ouvrage de la nature, c’est un pur ouvrage de la fortune, » et il ajoute : « Mais les femmes, parlant de leur ouvrage, le font toujours féminin, et disent : Voilà une belle ouvrage, mon ouvrage n’est pas faite. Il semble qu’il leur doit être permis de nommer comme elles veulent ce qui n’est que de leur usage. » En vérité, c’est trop de galanterie ! L’Académie française, plus sévère, n’a point de ces complaisances, et elle décide sèchement : « Les femmes qui disent une belle ouvrage font une faute. Il n’est point permis de faire ce mot féminin. » Mais Vaugelas, même en flattant, sait bien ce qu’il veut dire, et il l’explique