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admirablement, dans un article que je voudrais pouvoir reproduire tout entier, et auquel il a donné pour titre : Que, dans les doutes de la langue, il vaut mieux, pour l’ordinaire, consulter les femmes et ceux qui n’ont point étudié, que ceux qui sont bien savans en la Langue grecque et en la latine. Ici encore, on le voit bien, c’est toute une théorie qu’il ébauche, le contraire d’une boutade ou d’un paradoxe qui lui échapperait ; et c’est l’endroit par où la théorie de l’usage « actuel » se rattache à celle de l’usage « national. »

Écoutons-le plutôt : « Douter d’un mot ou d’une phrase dans la langue, n’est autre chose que douter de l’usage de ce mot ou de cette phrase, tellement que ceux qui nous peuvent mieux éclaircir de cet usage sont ceux que nous devons plutôt consulter dans cette sorte de doutes. Or est-il que les personnes qui parlent bien français et qui n’ont point étudié seront des témoins de l’usage beaucoup plus fidèles et beaucoup plus croyables que ceux qui savent la langue grecque et la latine, parce que les premiers, ne connaissant point d’autre langue que la leur, quand on vient à leur proposer quelque doute de la langue, vont droit à ce qu’ils ont accoutumé de dire ou d’entendre dire et qui est proprement l’usage... Au lieu que ceux qui possèdent plusieurs langues, particulièrement la Grecque et la Latine, corrompent souvent leur langue naturelle par le commerce des étrangers, ou bien ont l’esprit partagé sur les doutes qu’on leur propose par les différens usages des autres langues, qu’ils confondent quelquefois, ne se souvenant pas qu’il n’y a pas de conséquence à tirer d’une langue à l’autre. »

Je l’avoue : la force et la simplicité de ces raisons me touchent. Si c’est avoir « plusieurs âmes » que de savoir plusieurs langues, ces âmes « se confondent » parfois ou, si je l’ose dire, « s’embrouillent » les unes dans les autres, et on les entend qui parlent anglais ou allemand en français. Mais ceux qui ne sauraient s’empêcher de partager l’avis de Vaugelas, évidemment ce sont ceux qui se donnent de nos jours pour les ennemis du latin ou du grec ; et je ne doute pas que ses argumens ne leur paraissent décisifs. Plus tard, au XVIIIe siècle, on dira joliment d’une femme illustre, Mme Geoffrin, si j’ai bonne mémoire, qu’elle « respectait dans son ignorance le principe actif de son originalité. » En matière de langage, le paradoxe n’en est pas un. Nous louons quelquefois nos grands écrivains d’avoir, comme