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nous disons, réintégré tel ou tel mot dans la propriété de son acception latine ! C’est un éloge qu’on pourrait tourner assez aisément en critique. Parce que le latin disait : servire Deo, ce n’est pas une raison pour que nous disions en français : servir à Dieu et non servir Dieu. La question est-elle douteuse ? Consultons sur ce point ceux qui ne savent point le latin : ils nous seront les plus sûrs témoins de l’usage « actuel » et « français. » Mais, de plus, si ce sont des femmes, et qu’elles soient, comme femmes, plus sensibles que les hommes, et surtout que les philologues ou les grammairiens, à toutes les exigences de la conversation polie, elles deviendront alors les témoins et la mesure, non seulement de l’usage « actuel » et purement « français, » mais encore du bon ou du bel usage, et ici, nous arrivons à la plus connue des théories de Vaugelas.


V

C’est « le peuple » qui ‘passe aujourd’hui pour le maître de l’usage ou de la langue, et nous avons déjà dit qu’au temps de Vaugelas, telle semble bien avoir été l’opinion de Malherbe. C’était aussi celle des satiriques de l’école de Mathurin Régnier. Vaugelas ne la partage point. « Le peuple, écrit-il textuellement, n’est le maître que du mauvais usage, et le bon usage est le maître de notre langue, » et c’est lui qui souligne. Et, à l’usage populaire, il oppose, après l’usage des femmes, l’usage de la Cour et l’usage des bons auteurs, ou encore, et d’un seul mot, ce que nous pouvons appeler l’usage « aristocratique. »

Je dis : « l’usage aristocratique. » Mais il faut bien s’entendre sur ce point : l’usage « aristocratique, » pour Vaugelas, ce n’est pas l’usage « de la Cour » en tant que « Cour, » ou du moins, ce que la Cour est pour lui, ce n’est pas le Roi, ni les courtisans, la source des faveurs et le rendez-vous des ambitions, c’est le lieu de France où toutes les provinces, toutes les professions et tous les pédantismes viennent comme s’épurer et se dépouiller de leur marque originelle. La Cour, c’est le lieu où le mousquetaire se défait du langage des camps, le magistrat du jargon du Palais, Vadius lui-même et Trissotin, si par hasard ils y sont admis, du langage de l’école ; c’est le lieu où le Gascon et le Normand, le Provençal et le Breton, l’Auvergnat et le Lorrain, perdent, avec leut accent de terroir, les locutions qui sentent