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Et si l’on voulait enfin qu’en s’appliquant à tout, — c’est-à-dire qu’en exposant les théorèmes de la Géométrie de Descartes, aussi bien qu’en discutant avec Arnauld ou Pascal sur la matière de la « Grâce efficace » ou « suffisante, » — cette langue demeurât parfaitement naturelle, il n’y en avait pas de meilleur moyen, nous l’avons dit, que celui qu’avait conseillé Vaugelas en proposant de faire de l’usage « parlé » le juge de l’usage écrit.

Que l’on ne nous parle donc plus des « lois de Vaugelas ; » Vaugelas n’a point posé ni proposé de lois ; il a exprimé des opinions, il a constaté des faits, et il a donné des conseils. Que valent aujourd’hui ces conseils ? et que subsiste-t-il de la théorie de l’usage ? Évidemment je devrais le savoir, ayant l’honneur de faire partie de l’Académie française, et même de la commission du Dictionnaire de l’ « usage. » Et je le sais, peut-être, mais je n’en suis pas moins un peu embarrassé de le dire ! Car, ni l’Elysée, ni le Parlement ne sont « la Cour » et, comme citoyen, je ne le regrette pas ! mais, comme grammairien et comme lexicographe, je ne vois plus très bien où, en quel lieu de France est l’usage « aristocratique » ni seulement « le bon usage. » Je sais bien où est le « mauvais ; » je ne sais plus où est le « bon ; » et, par un phénomène étrange, il arrive que, pour me faire une idée du « bon, » ce n’est pas assez, ce ne serait même rien que de prendre le contraire du « mauvais. » La décision et l’empire en passeront-ils un jour aux « bons auteurs ? » Ce sera donc alors, quand nous tomberons d’accord du catalogue des « bons auteurs, » et ce jour est encore éloigné !

Ce que l’on peut cependant retenir de la doctrine de Vaugelas, c’est que le « peuple, » ainsi qu’il l’entendait, ne saurait être le « maître » de l’usage ni de la langue, pas plus qu’il ne l’est des idées. Les philologues et les grammairiens ne sauraient davantage y prétendre : on l’a bien vu quand ils ont essayé de réformer l’orthographe et la syntaxe. Ce n’est pas d’une « réforme » que la syntaxe aurait besoin, mais d’une « contre-réformation, » je veux dire de la suppression des règles qui ont rendu Molière incorrect et La Fontaine irrégulier ; et j’espère qu’ils ne le seront pas toujours. Nous pouvons encore garder de Vaugelas sa théorie du gallicisme et croire, avec lui, qu’une langue ne se développe utilement, et ne « s’enrichit, » à vrai dire, que dans le sens de ses « directions » naturelles. Nous pouvons croire aussi, et je le crois fermement pour ma part, que, toutes les fois que l’usage « écrit »