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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/593

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Pour celui qui travaille, l’avantage est évident, il y va de son intérêt direct ; déjà plus de 2 millions de travailleurs sont inscrits ; pour celui qui jouit de l’aisance ou de la fortune, l’obligation morale est d’une autre nature, mais bien plus absolue. On ne sait pas assez que la société de secours mutuels ne peut vivre sans membres honoraires : Il y a en France 250 000 membres honoraires. En défalquant les doubles emplois (et combien n’existe -t-il pas de membres honoraires inscrits en plusieurs sociétés ! ), il n’y a pas 200 000 personnes qui apportent leur obole à la mutualité, le rempart le plus efficace que nous puissions opposer aux assauts du socialisme[1].

Ces chiffres méritent d’être retenus ; ils marquent l’étiage de notre égoïsme.

Nous n’ignorons pas ce qu’est l’esprit de charité ni les sacrifices incomparables qu’il accomplit en France ; nous ne nous occupons ici que de l’œuvre sociale, et nous n’hésitons pas à dire que ceux qui, détenant la richesse, ne figurent pas sur les listes des sociétés de secours mutuels n’ont en aucun degré le sens de leur devoir. Un écrivain de talent et de cœur, M. Claudio Jannet, avait coutume de dire : « Il n’y a plus parmi nous de classes dirigeantes ; il n’y a que des classes responsables. » — Oui, responsables de ce qu’elles font et de ce qu’elles ne font pas ; responsables de leur corruption, d’autant plus contagieuse qu’elle vient de plus haut ; responsables des mauvais exemples qu’elles donnent à leurs fils, de leur indifférence pour la chose publique ou des railleries qui préparent le scepticisme ; responsables de leur inaction, de la place qu’elles laissent vide au sommet du corps social, donnant ainsi par leur faute au mouvement d’ascension qui est l’état normal des sociétés une accélération qui risque de rompre tout équilibre. Les anciennes classes dirigeantes auraient dû, comme elles Font fait en d’autres pays, se porter en avant, prendre en mains la propagande de la mutualité, multiplier les réunions, les discours, les écrits pour montrer ce qu’étaient les bienfaits de ces sociétés libres ; elles auraient accompli ce rôle d’éducation sociale qui crée des liens entre les classes et prévient la haine. Ce qu’elles n’ont pas su exécuter à temps pour conserver

  1. Quelques chiffres peuvent donner la mesure d’une progression qui dépasse toutes les prévisions. De 1898, le nombre des sociétés est passé de 11 825 à 14 500 en mars 1901 ; le chiffre des membres s’est élevé aux mêmes dates de 1 909 000 à 2 500 000, (Rapport au Ministre de l’Intérieur. 1901.)