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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/607

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a été jusqu’à la faire afficher dans les églises. L’élan a été général : hommes politiques, jeunes gens, femmes (ce qui était sans précédens) ont multiplié les conférences. Il s’est fait, en cette occasion solennelle, une levée d’hommes de bonne volonté ; c’est à coup sûr à l’honneur de la Belgique ; mais il n’est pas défendu de penser que, si le législateur français avait plus de confiance et de hardiesse, s’il savait adresser de semblables appels, le même dévouement éclaterait dans des pays de même race.

Avant de quitter la Belgique, on nous permettra de citer un dernier trait. Le vagabondage est dans nos sociétés européennes une plaie. Nos voisins ont résolu de la guérir. Ils ont créé des colonies agricoles pénitentiaires et ont donné à leurs juges de paix (aussi savans que bien recrutés et bien payés) le pouvoir d’envoyer tous les vagabonds dans ces colonies pour sept ans. Malgré l’effroi de tous ceux qui couraient les routes et qui ont aussitôt tenté de gagner les pays voisins, les colonies pénitentiaires se sont subitement remplies. C’est alors qu’apparait la pensée supérieure de cette belle loi due à M. Le Jeune, alors ministre de la Justice : auprès de chaque colonie, est constitué un comité composé des gens les plus estimables et les plus dévoués de la contrée. Ils se réunissent, suivant les besoins, une ou deux fois par semaine, tantôt quelques délégués, tantôt le comité tout entier : ils interrogent les détenus, écoutent toutes les réclamations, vérifient toutes les plaintes. Ils partent de ce principe que les vagabonds sont de trois sortes : les sans-travail, victimes de chômage, ou de toute autre cause accidentelle ; les incapables par suite d’infirmités ou de maladie ; les paresseux incorrigibles. Aux premiers, ils cherchent du travail, essayant par des correspondances ou des démarches de parvenir à les reclasser dans la vie ; aux seconds, si la maladie se prolonge, ils ouvrent les portes d’un hôpital ou d’un hospice. Ils n’ont pas un pouvoir de décision ; mais leur rapport tendant à la sortie est envoyé au ministre de la Justice, qui, sur-le-champ, signe un ordre de libération. Dans la colonie agricole, il ne reste qu’un résidu d’hommes méritant leur châtiment et indignes de pitié.

Les directeurs des colonies, comme les bureaux du ministère, sont unanimes à déclarer que, sans ces comités dont le dévouement gratuit ne se lasse pas, la loi qui a délivré la Belgique du vagabondage, aurait échoué[1].

  1. Nous pourrions trouver des exemples de même ordre en Suisse ; nous en emprunterions de semblables en Angleterre et aux États-Unis et, ce qui surprendrait plus d’un lecteur, l’Allemagne contemporaine nous offrirait un grand nombre de lois qui font un appel direct à la collaboration des citoyens ; mais nous avons voulu ici restreindre nos observations à un pays voisin dont la constitution, les mœurs et surtout la législation d’origine ont le plus de rapports avec nos coutumes.