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bonne heure, il faut qu’il ait la satisfaction de se sentir un membre actif d’une société, et qu’il apporte dans le milieu où il entre un peu de ce renouveau qui déborde en lui.

Nos pères ont baptisé l’instruction littéraire d’un des plus beaux mots de notre langue : ils ont dit du rhétoricien qu’il faisait ses « humanités. »

N’est-ce pas le nom qu’on devrait donner à l’ensemble de devoirs que contracte envers ses semblables celui qui entre dans la vie ?

C’est l’attrait et la grâce intime du jeune homme que ce besoin d’agir et de créer ; c’est sa force ; qui sait ? ce sera peut-être son génie. Gardons-nous de l’étouffer sous des conseils de prudence. Nous avons entendu des maîtres dire à des jeunes gens de 22 et de 24 ans : Ne vous laissez pas aller à l’étude qui vous plaît. Plus tard, vous choisirez. Contentez-vous d’études générales. Tout autre, selon nous, doit être, à l’entrée dans la vie, le conseil de l’expérience : Faites une œuvre, leur dirions-nous. Ne voltigez pas trop longtemps sur les sommets : faites choix d’un sujet, d’une idée, d’un temps ; cantonnez-vous dans l’objet de vos préférences ; allez au fond des choses ; et n’hésitez pas à écrire. Volez de vos propres ailes. Voyagez dans le monde des idées ; amassez, au cours du chemin, tout ce que peut vous donner l’expérience ; une étude personnelle vaut mieux pour le développement de l’esprit que les plus minutieux cahiers de notes[1].

De même pour l’action. Que les jeunes gens ne laissent pas passer l’heure d’agir : au moment où ils jouissent passionnément de leur liberté nouvelle, où l’horizon se découvre infini devant eux, où il semble que la carrière soit sans limite, qu’ils apprennent à faire deux parts de leur vie : leur profession, ce qui doit être le devoir de leur existence vis-à-vis de leur famille et d’eux-mêmes ; — leur souci des autres sous quelque nom qu’on les désigne, qu’ils s’appellent la société, le pauvre, l’intérêt public ou le prochain.

  1. Veut-on un fait très précis : En dehors des devoirs de classe et des compositions d’examens, un jeune homme qui suit les études de droit n’a pas une occasion de développer ses idées personnelles en une étude écrite, c’est-à dire de faire œuvre originale et individuelle, avant la rédaction de sa thèse de doctorat. A partir de 18 ans, après le baccalauréat, les études supérieures des Facultés devraient toutes avoir pour but de provoquer la fécondité de l’esprit. En retardant l’éclosion, on tue en germe toute originalité.