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divers. Les coteries fermées de quelques villes de province font penser aux castes des Indes. Les prétentions de nos fonctionnaires et le respect superstitieux dont ils sont entourés nous rappellent les abus du mandarinat. Le Chinois est très étranger au gouvernement. Il jouit d’une satisfaction passive qui n’a aucun rapport avec le bonheur et dont ne se seraient pas contentés nos paysans d’ancien régime. Celle inertie convient aux cerveaux lassés ; c’est à la fatigue des peuples que s’adapte le collectivisme, la forme la plus compliquée et la plus parfaite du fonctionnarisme.

L’égalité dans la servitude et la tyrannie collectiviste, voilà le terme extrême. Telle est la conséquence des abdications successives du citoyen, qu’elles aient été volontaires ou forcées.

C’est pourquoi il n’y a pas une abdication qui ne soit funeste, pas une abstention qui ne soit coupable.

Quoique les contemporains soient toujours portés à s’exagérer les maux dont ils souffrent, il n’est pas excessif de penser que nous assistons à une évolution décisive. Mis en possession du pouvoir par le suffrage, le peuple a manié une arme terrible avant d’avoir appris à s’en servir. Sa puissance est très supérieure à son éducation. Selon les conseillers qu’il écoutera, il fera, sans en avoir conscience, les coups de tête les plus contraires.

Ce qui a de tout temps perdu les démocraties et ce qui les a transformées en démagogies, c’est l’absence d’une classe intermédiaire rattachée au peuple par ses origines, mêlée à lui par ses intérêts, vivant de sa vie et sentant battre son cœur à l’unisson.

En France, nous avons cette classe ; c’est elle qui a fait notre histoire, sous le nom de tiers-état. Elle n’a rien d’une caste, puisqu’elle se recrute incessamment dans le peuple ; leurs intérêts sont communs ; si quelques enrichis, séduits par la vanité, ont été corrompus par la fortune, la grande masse de la bourgeoisie travaille et maintient le renom de l’industrie française. Entre elle et le peuple des prolétaires, vivent et prospèrent nos 5 millions de propriétaires habitant la maison qu’ils possèdent, nos 10 millions de possesseurs de livrets d’épargne.

Mais il faut que ce peuple de bourgeois intelligens, qui travaillent, épargnent, acquièrent, ne se borne pas aux vertus privées ; ce sont de braves gens, de bons pères de famille, des travailleurs avisés et prudens. Il faut qu’ils s’intéressent à la