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quelque chose de légendaire illuminait et dorait sa jeunesse ; et, quand il passait dans les rangs, un murmure lui apportait la chaude et excitante caresse de la popularité. Il venait de voir de tout près la férocité des passions débridées : des trahisons, des embuscades, des massacres et des représailles ; la guerre la moins noble qui soit, et qui ne se lave que par le sang de ce qu’elle remue de boue, cette convulsion d’un pays qui s’étrangle de ses mains et se déchire de ses ongles, la guerre civile ; il lui restait à voir la guerre civile elle-même ravalée jusqu’à n’être qu’un moyen ou une manœuvre de politique, les chefs usant de leurs troupes comme les « parlementaires » de leurs groupes et se battant, sur le dos de la patrie, non plus pour des questions de dynastie, où la patrie peut être intéressée encore, mais pour de simples questions de programme ou de misérables questions de personne, qui ne sauraient intéresser queux seuls.

S’il n’eût eu l’âme que d’un soldat, il en eût été dégoûté ; mais son âme était double, et toutes les ambitions s’y logeaient en un coin, pêle-mêle et de qualité diverse, de très hautes et d’assez vulgaires. À ce colonel de vingt-cinq ans, fougueux et calculateur, qui était arrivé si vite qu’il voulait arriver très loin, et qui ne répugnait pas à marcher aux accens de l’hymne de Riego, Espartero allait bientôt apprendre de quel pied il fallait partir.

Espartero est en effet le premier général que Prim vit « se prononcer, » et malheureusement il le vit réussir, arracher la régence à Marie-Christine et se l’attribuer. Par le départ forcé de sa mère, la jeune reine Isabelle restait seule en butte aux assauts de ses ennemis et en proie même aux dissensions de ses partisans. D’un côté, les carlistes qui tenaient pour leur prince et ne désarmaient pas ; de l’autre, des groupes qui, sous le couvert de la constitution, ne tenaient guère que pour eux-mêmes et préféraient leurs principes ou leurs opinions à la paix publique, toujours armés, eux aussi, ou prêts à s’armer non seulement contre les carlistes qui en voulaient à la reine, mais contre quiconque semblait en vouloir à leur influence ; chacun d’eux avec ses provinces, ses villes, ses clans, ses cadres, ses régimens, ses généraux.

De ces groupes constitutionnels les deux principaux étaient : les moderados, les exaltados, les « modérés, » les « exaltés. » Le tempérament de Prim, — sa fougue et son calcul, — le conduisit