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— Boulanger en était la preuve, — mais le hasard, la fatalité, les circonstances, tout ce que l’on appelle d’un seul mot l’histoire, a voulu que, depuis un siècle, ce fût surtout l’Espagne qui produisît de ces généraux-là : distingués, intelligens, vaillans, et — c’est la traduction exacte — « point-d’honneureux, » sans nul doute, ils portaient au côté, comme le Cid, une Tizona bien trempée ; mais trop souvent ils montrèrent du penchant à la mettre au service d’un parti politique, dans le dessein à peine déguisé de mettre ensuite ce parti à leur service particulier.

De ces généraux politiciens, après tant d’autres et avant tant d’autres, don Juan Prim, comte de Reus et vicomte del Bruch, marquis de Los Castillejos, est un assez bel exemplaire. Sa vie, pleine de contrastes violens, mêlée de coups d’éclat et de coups de force, traversée de conspirations et d’exils, tout entière en bonds et en chutes, qui deux fois le mena sur la première marche d’un trône pour se terminer par un assassinat, peut fournir des modèles aux hommes de main qui ne s’embarrassent point de scrupules, et, aux hommes de tête que ces sujets intéresseraient, la matière d’une théorie, d’une philosophie et même d’une morale du pronunciamiento.


I

Juan Prim y Prats naquit à Reus, en Catalogne, le 6 décembre 1814, d’un père, lieutenant-colonel d’infanterie, don Pablo Prim, et d’une mère dont on ne sait que le nom, ce qui en est le meilleur éloge. Dès l’enfance, il n’eut sous les yeux, pour animer la monotonie d’une existence de fils d’officier dans une petite ville provinciale, que des spectacles d’insurrection. Il avait dix-neuf ans lorsque éclata la grande querelle des cristinos et des carlistes, et que, dans la Catalogne libérale, se forma le premier corps franc des Tiradores de Isabel II, où son père prit le commandement d’une compagnie et où lui-même, brûlant de se distinguer, s’engagea comme volontaire.

Admirablement brave, six ans après, à vingt-cinq ans, ayant participé à trente-cinq combats, reçu huit blessures, accompli en dix rencontres de vrais exploits, il était fait colonel sur le champ de bataille. Non seulement il avait conquis ce grade à la pointe de l’épée, mais plus d’une fois, par des charges héroïques, il avait soulevé les applaudissemens de l’armée tout entière ;