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Saint-Cyr, cette enfant entra dans la chambre de Mme de Maintenon comme le Roi y étoit, et, n’ayant pas encore assez de connaissance pour faire la différence d’un Roi à un autre homme, elle alla droit à lui et se mit à jouer du ruban de sa canne et à lui faire des questions d’enfant qui lui plurent. Elle lui montra toutes les hardes qu’elle avoit sur elle disant que c’étoit Mme de Maintenon qui les lui avoit données. Le Roi commença à l’aimer et à s’en amuser dans ses temps de délassement ; elle avoit toujours quelque chose de joli à lui dire qui le divertissoit. » Cependant Mme de Maintenon pensait, dans l’intérêt de l’enfant, à la faire adopter soit par la Duchesse de Bourgogne, soit par la duchesse d’Estrées qui n’avait point d’enfans. « Celle-ci paroissoit en avoir envie, mais, par civilité ou autrement, elle la déféroit à Madame la Duchesse de Bourgogne qui, par un retour de politesse et peut-être aussi parce qu’elle ne vouloit pas s’en charger, la déféroit de même à Mme d’Estrées. » Pour départager ces deux bienfaitrices un peu tièdes. Mme de Maintenon eut alors une idée singulière. Ce fut de faire de la petite Jeannette l’enjeu d’une partie à laquelle elle mettrait elle-même. Le sort la favorisa ; elle gagna la partie et l’enfant, dont la destinée morale avait ainsi dépendu d’un coup de dés (car il est probable que ni la Duchesse de Bourgogne ni la duchesse d’Estrées n’auraient veillé avec beaucoup de soin sur elle), demeura à la Cour sous la protection de Mme de Maintenon et sous la surveillance spéciale de Mlle d’Aumale. Dans les lettres de cette dernière, nous la voyons, en effet, constamment apparaître, désignée tantôt sous son prénom de Jeannette, tantôt sous le sobriquet de la Chèvre. Lavallée a même publié une très jolie lettre d’elle qu’elle signe ainsi et qu’elle écrit, dit-elle, « sans transparent et sans bonne, dans la chambre de Mme d’Aumale qui la lu-ouille en jouant du clavecin. » Elle avait mérité ce nom par sa pétulance qui n’excluait cependant pas la finesse. « Devenue plus grandelette, dit Saint-Simon, elle devint plus amusante et plus jolie, et montra de l’esprit et de la grâce avec une familiarité discrète et avisée qui n’importunoit jamais. Elle parloit au Roi de tout, lui faisoit des questions et des plaisanteries, le tirailloit quand elle le voyoit de bonne humeur, et jouoit même avec ses papiers quand il travailloit, mais tout cela toujours avec jugement et mesure. »

A quatorze ans. Jeannette devint Mme d’Auxy, ce qui ne l’empêcha pas de rester à la Cour, tandis que son mari, qui n’en