Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/759

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait que vingt-deux, était pourvu du gouvernement de Guérande. Mais il n’est pas vrai, comme le dit Saint-Simon, que Mme de Maintenon se soit, par jalousie, dépouillée vis-à-vis de la jeune femme de la sollicitude affectueuse qu’elle avait témoignée à l’enfant. Rien non plus ne paraît changé dans les sentimens que Jeannette portait à maman, comme elle appelait gentiment Mme de Maintenon, et pas davantage dans les sentimens que Mme de Maintenon lui portait. Dans ses lettres, elle parle de Jeannette avec une tendresse toujours égale. Jeannette a-t-elle été malade, elle l’envoie en convalescence à Fontainebleau, dans une petite maison où parfois elle-même aimait à se retirer, et charge Mlle d’Aumale de veiller sur elle. Les enfantillages auxquels la jeune mariée continuait à se complaire trouvent chez elle la même indulgence. « Mme d’Auxy est hors d’elle quand elle a un habit neuf, écrit-elle à la maîtresse générale des classes de Saint-Cyr. Elle me consulte sur l’assortiment. J’y entre et lui donne mes avis en lui disant que cette joie et le goût des ajustemens sont de son âge, qu’il faut que la jeunesse se passe, et que j’espère qu’elle viendra plus tôt qu’une autre à des inclinations plus solides. Je crois, ajoute-t-elle avec une sagace indulgence, que cette condescendance porte plus au bien qu’une sévérité en tout qui ne sert qu’à rebuter et à rendre dissimulée. » Saint-Simon, une fois de plus, est donc convaincu ici d’inexactitude, pour ne pas me servir d’un plus gros mot.

Mlle d’Aumale ne rendait pas seulement à Louis XIV le service de le divertir en faisant de la musique ou en entretenant autour de lui un mouvement de jeunesse. Elle aurait encore, au témoignage des dames de Saint-Cyr, gagné sa confiance, à ce point qu’il se servait d’elle comme secrétaire. Louis XIV, on le sait, n’écrivait presque jamais de sa main, sauf aux têtes couronnées ou aux personnes de sa famille. Il signait même rarement, et ce majestueux LOUIS qui s’allonge au bas de tant de dépêches ou de lettres n’est presque jamais de sa main. Mais comme il avait souvent à écrire ou plutôt à dicter, il lui fallait toujours à portée quelqu’un à qui il pût se fier. Parfois il s’était servi de Mlle de Normanville, alors qu’elle était auprès de Mme de Maintenon et avant qu’elle ne fût devenue la Présidente de Chailly. Mlle d’Aumale eut le même honneur, et, à en croire les dames de Saint-Cyr, « comme elle écrivoit très bien, il s’en servoit pour des choses qu’il ne vouloit pas confier à des secrétaires. »