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tout au moins pour être inscrits dans la Constitution parmi les bêtes de proie à qui il est licite de se montrer dociles à leur instinct naturel.

Qui sait même si ce socialisme-là s’arrêterait aux animaux et aux arbres ? On pourrait, au besoin, l’étendre aux minéraux. M. Weltrich, accordant pour un instant à des contradicteurs supposés que la mutilation des animaux inférieurs ne leur cause aucune douleur, grâce à leur système nerveux rudimentaire, ajoute ensuite sur un ton de triomphe :

« Même en ce cas, priver un insecte d’un membre, ou un ver d’un anneau, serait encore un vol, un dommage causé à la vie. »

Faut-il donc aller beaucoup plus loin pour affirmer que le bris d’un cristal dans une grotte à stalactites n’est pas seulement, comme on l’accorderait volontiers, un acte de vandalisme, une faute de goût, un péché contre le sens esthétique de l’homme ; mais bien un véritable crime envers la nature elle-même, que quelque code encore plus lointain que celui des bêtes se chargera de réprimer un jour ?

— Vous exagérez, dis-je, mais je comprends cette réaction de vos nerfs irrités par la suffisance et le pédantisme hargneux de certains apôtres qui sont excusés seulement par leurs excellentes intentions.

— Cela est vrai : je me laisse entraîner en ce moment par l’impatience. Mais je ne suis pas seul à réagir ici, ayant pour avant-garde tout un détachement de penseurs contemporains, fatigués par des excès trop évidens. J’ai parlé de Nietzsche : n’a-t-il pas écrit quelque part que ses conquérans, ses magnifiques « bêtes de proie blondes, » occupés à massacrer, à brûler, à violer les populations qu’ils se préparaient à doter des bienfaits de l’état moderne, ne connaissaient pas plus le sentiment de la responsabilité et du remords en ces matières, que nous ne l’éprouvons nous-mêmes, pour avoir écrasé en la chassant trop vivement, une mouche importune ? Partager l’humanité en castes, et faire traiter par la caste supérieure tout ce qui est en dehors d’elle-même comme nous traitons actuellement les animaux, voilà le rêve de l’école aristocratique et darwinienne du temps présent. Ecoutez la définition que l’un de ses représentans les plus conséquens nous fournit du droit, et venez encore nous parler non seulement des droits de l’animal, mais même des droits de l’homme.