Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une certaine solidarité qui est utile à supposer entre les créatures vivantes. Car il en résulte une disposition très favorable aux premiers degrés de moralité dans nos rapports avec les autres hommes, considérés simplement comme des créatures vivantes et sensibles. Nous condamnerons donc ces pratiques, pour le tort qu’elles causent à notre propre valeur morale et aux nécessités de la vie sociale. Voilà la parole virile et de sang-froid qui me paraît l’expression de la vérité. Elle n’exclut nul ménagement raisonnable, nulle protection efficace des espèces utiles à l’homme. Eh ! sans doute, comme le fit jadis l’école romantique dont les passions ardentes s’irritaient devant le froid « impératif catégorique » du vieux garçon maniaque de Kœnigsberg, les âmes sentimentales peuvent bien s’insurger contre une rigueur logique qui blesse leurs plus chers instincts, contre un dédain trop marqué pour les penchans et les inclinations du cœur. Et Wagner conduirait à bon droit l’attaque, lui qui, dans les rangs de la littérature allemande contemporaine, serait assez congrûment rangé parmi ceux qu’on nomme les néo-romantiques. C’est pourtant là seulement que je reconnais la voie de la raison et le chemin du progrès, et ces vues modérées inspirent en somme la législation protectrice des animaux en tous pays depuis un siècle. A y regarder de près, c’est encore au kantisme qu’en reviennent involontairement, pour persuader leurs contemporains, les apôtres du droit autonome des animaux. Pas une des excellentes mesures proposées par M. Bregenzer dans son œuvre érudite qui ne se justifie par l’intérêt humain bien entendu. Ecoutez aussi M. Weltrich plaider pour un de ses cliens végétaux :

« Les communautés ou les individus qui se trouvent en possession d’un arbre puissant, prodigue de son ombre, purifiant l’air à la ronde, reposant les yeux du passant fatigué, doivent peser dix fois leurs mobiles avant d’user du droit de l’abattre. »

Malgré lui, notre auteur se prend à raisonner ici en faveur des hommes et non plus au profit de l’arbre ; et, pour vous en mieux convaincre, examinez si les droits à la vie de quelque beau chêne arrêteraient un Stanley ou un Marchand occupés à s’ouvrir à coups de hache un chemin dans la forêt tropicale ? L’intérêt humain parle trop haut en pareil cas pour qu’il ait besoin de s’appuyer à des subtilités de légistes ; et les efforts de nos jurisconsultes bénévoles pour reporter à tout prix dans la créature le fondement de son droit vis-à-vis de l’homme apparaissent plus