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nous occupe. Dans le curieux roman du nouvelliste de la Styrie, Pierre Rosegger, qui est intitulé le Chercheur de Dieu, on voit peser sur toute une communauté montagnarde la malédiction de l’Église. Un enfant au cœur tendre marche par la forêt sans pouvoir songer à autre chose qu’à cette affreuse excommunication : il n’y a plus de Sauveur pour son village natal.

« Un écureuil escalada le tronc d’un arbre, s’avança sur une branche et considéra le jeune passant du haut de cet observatoire aérien. Son regard, évidemment moqueur, semblait dire : « Pauvre diable, tu n’es pas mieux partagé que moi-même à présent. Vous autres, enfans de Dieu, vous aimiez à rappeler que les animaux n’ont pas de Rédempteur, et traînent une vie misérable, sans nul espoir d’un Au-delà. Nous voici sur le même pied, sauf que je grimpe mieux que toi[1]. »

Christian Wagner a, lui aussi, traité plus d’une fois ce thème qui, en tant que fiction poétique, ne manque pas de grâce, et fait songer aux légendes du moyen âge chrétien. Déjà les muguets réclament de lui une sorte de rédemption :

Que faites-vous au long des sentiers, et sous la futaie des chênes, clochettes privées de voix ?... — Jadis, nous tintions à toute heure, nous tintions matin et soir dans la forêt, et nous avions même une oreille délicate pour écouter les chants de nos compagnes. Mais l’homme vint, avec sa cruauté et tout son cortège de misères. Nous priâmes alors le Dieu trois fois saint : « Ah ! Seigneur dans les cieux, fais-nous sourdes et muettes, ne nous rends plus l’ouïe et la voix avant que la paix ne règne de nouveau sur la terre. Et, depuis, nous demeurons là dans l’attente : et d’année en année, notre foi dans l’avenir se renouvelle. Nous sonnerons un jour à l’unisson quand le Ciel descendra sur la Terre. Un enfant de bénédiction[2] doit nous faire retentir le premier, afin que l’enchantement s’éloigne de nous. Nous sonnerons alors comme jadis, de près et de loin, célébrant le grand Dimanche, le véritable jour du Seigneur.


Mais la pensée apparaît plus précise, bien que discrète encore, dans la charmante Ballade des moutons[3]. Rappelons qu’en souvenir du bœuf et de l’âne présens dans l’étable de Bethléem, les animaux domestiques reçoivent le don de la parole pendant la nuit de Noël.

  1. II, 12.
  2. Sonnlagskind, littéralement un Enfant du Dimanche ; c’est le nom que se donne volontiers le poète comme un symbole de sa mission, une bénédiction particulière s’attachant aux enfans nés le jour du Seigneur, suivant la croyance des campagnes allemandes.
  3. II, 28.