Payons en bienfaits les intérêts tout d’abord ; rendons même le capital en son entier par portions successives. Ou encore :
Vis-à-vis du doux rayon de soleil de la prospérité, comporte-toi comme le joyau précieux : sous le rayon sacré de la joie, deviens une opale translucide : ne garde rien pour toi de ce bonheur, mais reflète-le sextuplé au dehors.
Voilà qui est digne d’une approbation sans réserves. Pourquoi donc faut-il qu’il nous reste une tâche moins agréable à accomplir, celle de marquer encore une fois les excès auxquels notre paysan se laisse entraîner par la tendance mystique de sa nature rêveuse et exaltée. En signalant les écarts de son essor poétique, nous essaierons toutefois de manier d’une main légère les ailes diaprées de sa fantaisie, et tout d’abord, nous proclamerons une fois de plus notre indulgence secrète pour une doctrine d’amour qui garde quelque charme jusqu’en ses aberrations.
Nous avons longuement étudié les pages émues dans lesquelles Wagner prêche ce qu’il nomme l’amour extensif, et conseille de porter à toute la création les tendresses inassouvies de notre cœur. A ses yeux, c’est même une institution morale, c’est une infirmité voulue par le Destin, si l’homme ne peut retrouver dans la Nature la trace certaine des êtres chers à son souvenir, si, quoique présens par quelque métempsycose, ces absens demeurent pour nous confondus dans le spectacle divers du monde extérieur. Par là, nous pouvons nommer nôtres toutes choses, et, à l’avenir, aimer beaucoup d’êtres au lieu de quelques-uns. Ces considérations ne sont pas excessives en elles-mêmes, mais encore faudrait-il accepter pourtant quelque hiérarchie dans ce devoir d’amour universel, et ne pas faire trop bon marché, à l’occasion, des liens du sang et de la voix de l’instinct. Sinon, cette affection trop vaste risque fort de demeurer à l’état de vague profession de foi panthéiste, privée de la force et de la vertu nécessaire pour se traduire en œuvres efficaces. Quand nous lisons la Parabole des Enfans volés, par exemple, notre adhésion déjà prête à récompenser l’effort moral évident du poète, se reprend et s’interroge tout d’abord. Le renoncement qui est prêché là est-il véritablement sain et favorable au progrès humain[1] ?