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On pourrait encore excuser, en faveur de son amour conjugal si éprouvé, l’exaltation qui lui fait promettre à Clara l’immortalité par l’œuvre de son époux[1], et le destin de Laure et de Béatrice, avec qui la paysanne de Warmbronn formera quelque jour une trinité glorieuse dans la mémoire de la postérité[2].

Mais le poète ne dédaigne pas à l’occasion de s’élever seul sur le pavois, comme en témoigne l’interprétation qu’il nous fournit de sa Vocation :


Je n’avais par héritage ni la science ni l’art : tous deux me furent accordés par la grâce des dieux. Et je me dresse l’égal des rois et des princes, mais mon royaume sommeille encore dans le sein de l’avenir.


Enfin, cette immortalité qu’il se promet à lui-même, Wagner nous la décrite de façon suffisamment précise, tantôt sur la terre, tantôt dans le ciel même ; car l’univers entier semble appelé, comme nous l’allons voir, à célébrer une mémoire si glorieuse. Examinons d’abord ses pronostics sur l’avenir terrestre de son nom. Certain jour[3], ayant redemandé Clara à tous les échos pour en recevoir la consolante réponse ordinaire quelle « est partout autour de lui, » Oswald cède un moment au sommeil, et se réveille dans une disposition d’humeur bizarre. Il voit se dresser devant lui une construction d’aspect souriant, pourvue d’une enseigne éclatante qui porte ces mots : « Auberge des Promenades du Dimanche. » S’étant introduit dans l’intérieur de l’hôtellerie, il constate que sa propre image est suspendue en face de la porte d’entrée, mais sous les traits d’un vieillard beaucoup plus âgé qu’il ne l’est aujourd’hui. La salle du premier étage renferme, dans des vitrines, toute une collection des souvenirs intimes du paysan de Warmbronn : harpe, chapeau tyrolien porté par lui actuellement, etc. C’est un véritable « musée Christian Wagner » ajouté à ceux que l’Allemagne consacre si volontiers à ses grands hommes, depuis Gœthe jusqu’à Nietzsche. S’étant alors dirigé tout surpris vers la forêt familière, notre homme y voit, sur la porte d’entrée d’une élégante villa neuve, une jeune fille étrangère, qui, trompée par l’aspect délabré de son costume, lui offre une pièce de monnaie. Il la refuse poliment, non sans tourner un madrigal à la belle inconnue. Et celle-ci de répondre toute souriante :

  1. Présens votifs, p. 102.
  2. Nouveaux Poèmes, p. 182.
  3. III, 37.