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de la comédie de Beaumarchais, on hésite à dire : la poésie.) Mozart a transformé, transfiguré par les sons un chef-d’œuvre qui désormais semble beaucoup moins le sujet, ou le modèle, que l’occasion d’un chef-d’œuvre nouveau, très différent, très supérieur peut-être, où la musique a tout emporté.

On dirait que Mozart vint achever et couronner en quelque sorte l’évolution qui, depuis longtemps, entraînait la poésie vers la musique. Celle-ci, que l’opéra récitatif avait d’abord soumise au verbe, ne tarda guère à souhaiter l’indépendance et même l’autorité. Un éminent historien de la littérature italienne, Francesco de Sanctis, a très bien vu les causes et les progrès de ce mouvement qui prit naissance en Italie et n’eut son plein effet que dans le génie encore à demi italien de Mozart. La poésie, — au moins la poésie italienne, — s’était peu à peu dépouillée et comme vidée de ce qu’elle contenait d’expressif, pour ne retenir que ce qu’il y avait en elle de sensible ou de sensuel ; pour développer de plus en plus « l’élément chantant et musical, qui perçait déjà dans l’œuvre d’un Tasse, d’un Guarini, d’un Marino. La sonorité ou la mélodie était devenue la première loi de la prose et des vers et l’on fabriquait des périodes qui sonnaient en musique... La parole n’était plus une idée, mais un son et, plutôt que de gâter les sons, on récitait les paroles à contre-sens... Quand le drame est devenu insipide et que la parole a perdu toute efficace, on cherche l’intérêt dans la musique et tout le drame est chanté... L’antique littérature n’étant plus qu’une forme chantable et musicable, cantabile e nmsicabile, a pour dernière expression le drame musical, où elle n’est plus une fin, mais un moyen. Elle est mélodie et sert à la musique[1]. » La parole sans doute, autrefois maîtresse, garde encore un débris, une ombre au moins de son empire. Elle subsiste en cette musique, puisque cette musique est chant. Mais elle n’y figure que pour s’y absorber et s’y évanouir. La mélodie triomphe et Mozart est l’artisan de sa fortune, le héros de sa victoire.

Ainsi l’opéra de Mozart est surtout mélodie. Il l’est au fond et comme par essence. Il ne l’est cependant pas sans réserve et par système. En lui quelque chose de l’ancien récitatif demeure encore et quelque chose annonce déjà la symphonie à venir.

Les plus beaux récitatifs de Mozart se rencontrent dans Idoménée,

  1. Francesco de Sanctis, Storia della letteratura italiana. Napoli, Cav. A. Morano. 1892, t. II, passim.