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dans les Noces de Figaro (avant l’air de Suzanne sous les marronniers) ; enfin et surtout en deux scènes de Don Juan : l’une où doña Anna pleure sur le cadavre du Commandeur, l’autre où elle reconnaît en don Juan le meurtrier de son père. Par la composition, par le partage des forces musicales entre le récitatif et le chant, mais surtout par la déclamation, l’épisode religieux et funèbre d’Idoménée rappelle, s’il ne l’égale pas, le tableau du temple, d’Alceste. Quant au récit de Suzanne arrivant au nocturne rendez-vous, quelques paroles y résonnent avec une plénitude, une profondeur que Gluck n’a jamais dépassées. Rappelez-vous ces deux mots si simples : « l’amenità del loco, » et quelle grandeur mystérieuse, avec quelle suavité, la musique leur donne. Vraiment, c’est bien devant la beauté verbale que nous nous trouvons ici. Mais ici seulement. Partout ailleurs en cette célèbre page, la musique, au lieu d’être, comme chez Gluck, contenue dans la parole et d’en jaillir, semble venir à elle du dehors et l’envelopper. De même, et plus encore peut-être, dans les deux récits de doña Anna, malgré l’énergie et la vérité de l’accent, la musique l’emporte. Que la faute en soit ou non à la langue italienne et à sa douceur, dès les premiers cris de la jeune fille : Ma qual mai s’offre, o Dei ! spettacolo funesto agli occhi miei ! les notes plutôt que les syllabes frappent et fendent le cœur. Une imprécation de Gluck, en français, porte des coups autrement rudes. Mais, dans l’ordre de la musique pure, Mozart aussitôt reprend l’avantage. S’il n’y a pas de mélodie à proprement parler en ce discours haletant, les élémens rien que musicaux y abondent. Une modulation, une attaque ou une secousse de l’orchestre, trois ou quatre accords égaux et lugubres, sont autant de détails où se révèle le musicien plus grand que Gluck, l’ouvrier ou plutôt le maître sans pareil des formes sonores.

Quelques pages plus loin, vous le trouvez encore. Ecoutez doña Anna reconnaissant son ravisseur et faisant à don Ottavio la narration de la funeste nuit. Tandis que le génie de Gluck se déploie et semble se complaire dans le récitatif, celui de Mozart ne fait en quelque sorte que le traverser. Au lieu des haltes de Gluck, quelle hâte, et comme l’orchestre tantôt presse et tantôt hache la voix ! Voilà peut-être le chef-d’œuvre du récitatif de Mozart, de ce récitatif plus musical encore une fois que celui de Gluck. En faut-il une dernière preuve ? Dans Iphigénie en Tauride, au début aussi de tragiques confidences, quelques accens