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Une mélodie encore, celle du Batti, batti, bel Mazetto, reflète en son courant capricieux l’ame rusée et fuyante de Zerline. Elle fuit elle-même, la mélodie ; l’accompagnement perfide glisse et se dérobe avec elle, et, pendant un instant, c’est le sourire du Vinci que nous croyons voir passer sur la musique de Mozart.

Les caractères que Mozart a tracés ne se démentent jamais, fût-ce dans les plus insignifiantes ou les plus invraisemblables conjonctures. Qui pourrait savoir où se sont rejoints, et comment, les six personnages du sextuor de Don Juan : dona Elvire et Leporello, Mazetto et Zerline, don Ottavio et doña Anna ? Le lieu de la scène, dit le livret, est une cour dans le palais du Commandeur. Mais il est peu croyable que le logis de ce mort reste ouvert ainsi, la nuit, à tout le monde. Le théâtre représente plutôt un terrain vague, et j’admets que Leporello, pris pour don Juan par Elvire, ait amené là, pour s’en débarrasser, la femme de son maître. Zerline aussi passait par là sans doute, reconduisant avec d’amoureuses promesses Mazetto battu et content. Mais, pour doña Anna, pour don Ottavio qui l’escorte, quelle étrange façon de promener par les rues, à la belle étoile, l’une son désespoir et l’autre son amour ! Et pourtant, de cette rencontre saugrenue, pour ne pas dire grotesque, de ce chassé-croisé dans les ténèbres, Mozart a fait un concert admirable, non seulement entre des parties, instrumens ou voix, mais entre des caractères et des âmes : entre l’épouse abusée, mais qui reste fière, et le valet poltron et paillard, entre la madrée villageoise et son benêt de promis, entre le pâle sigisbée et l’inconsolable orpheline.

Quel concert encore que le trio du balcon, et comme la mélodie y baigne en quelque manière dans le sentiment qui l’enveloppe et la pénètre de toutes parts ! Chaque personnage soutient ici son rôle : attendrie et près de pardonner, Elvire continue de se plaindre, Leporello de railler et don Juan de mentir, quand, afin de mieux abuser la maîtresse, il dérobe d’avance quelques accens à cette sérénade, que bientôt, pour la suivante, il chantera tout entière. Ici encore, au-dessus des nocturnes mélodies, nous croyons voir palpiter les étoiles, et, plutôt que de les accuser, doña Elvire, comme autrefois Suzanne, invoque et bénit les douces conseillères d’amour.

Une autre leur commande et sa voix semble étinceler de leurs feux : c’est la Reine de la nuit. Ses chants ont été souvent