Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’humanité. » Mozart, en musique du moins, n’avait mal nulle part. Il n’a jamais fait de sa mélodie la confidente et la révélatrice de ses souffrances, qui durèrent autant que sa vie. Et, par- tout en son œuvre, c’est la vie qui a raison contre la mort. Jusque dans le cimetière et devant l’homme de marbre, la vie s’égaie et rit parmi les tombeaux. Si, dans l’admirable sextuor, s’élèvent tour à tour, et plus tragiques l’une que l’autre, la plainte de doña Anna, puis celle de Leporello, on sait quels thèmes alertes, quels rythmes piqués et pointés leur répondent. Dramma giocoso, voilà bien le vrai titre de Don Juan, où l’élément dramatique n’est point celui qui l’emporte.

Cette joie, Mozart n’a jamais, comme Beethoven, à la conquérir. Elle est en lui naturellement et toujours. Elle le possède sans l’agiter et, loin de le jeter dans le désordre ou le délire, elle l’établit dans une paix que ne saurait longtemps altérer nulle douleur. Cela est sensible dans la plainte d’Ilia que nous avons citée plus haut :


Se il padre perdei,
La patria, il riposo,
Tu padre mi sei.


Il riposo, voilà le mot où Mozart en quelque sorte a répandu toute sa tendresse. Sereine encore plus que mélancolique, en dépit de la situation et du personnage, c’est le repos, ce n’en est pas la perte, que l’exquise mélodie a chanté.

Autant que de paix et de joie, l’idéal de Mozart est d’amour, mais d’un amour, comme sa joie, sans violence ni transports. Ne disons pas sans langueur et sans voluptueux mystère : ce serait oublier Chérubin, Suzanne et la Comtesse elle-même. Un souffle chaud, nous l’avons vu, passe parfois sur la mélodie de Mozart, mais il ne fait qu’y passer. Dans l’histoire de la musique amoureuse ou de l’amour en musique, Don Juan même ne tient pas le rang d’un Tristan ou d’un Faust, et le fameux duo : Là ci darem la mano, résume en deux pages exquises, mais brèves, une histoire que la musique, ailleurs, a mis plus de temps et d’ardeur à conter. Aussi bien le Mozart de Don Juan n’est-il pas le Mozart le plus tendre. Il y a plus d’amour, non seulement dans les Noces de Figaro, mais dans un couplet ou dans un air de l’Enlèvement au sérail et dans le duo de la Flûte enchantée.