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« Celui qui a trouvé celle qui l’aime, s’il croit son amour loyal et fidèle, qu’il l’en récompense avec mille baisers ! Qu’il lui rende douce la vie tout entière, qu’il soit son consolateur et son ami ! » Ainsi chante un personnage de l’Enlèvement au sérail. Et la chanson légère, exquise de douceur ingénue et de naïve pureté, cette chanson qui s’achève en mineur, dans un demi-sourire, cette chanson qui n’est pas seulement jolie, mais bonne, ressemble à l’amour tel que Mozart l’éprouva. D’autres, non moins candides et touchantes, rendent un témoignage pareil. Lisez, toujours dans l’Enlèvement au sérail, les chastes romances de ténor (une surtout, en mi bémol) où Belmont célèbre sa chère Constance. Feuilletez ensuite la correspondance de Mozart, et dites si les lettres du maître à la Constance véritable, celle qui fut sa femme, ne trahissent pas le même amour.

Il inspire enfin, cet amour sans violence et presque sans passion, cet amour qui jamais ne trouble, ne brûle ou ne dévore, il inspire le ravissant duo de la Flûte enchantée. On est tenté parfois de résumer en quelques mots le caractère moral et, comme disaient les Grecs, l’éthos du génie d’un grand artiste. Pour Mozart, il faudrait des formules divines. « Heureux les doux ! Heureux les pacifiques ! Heureux ceux qui ont le cœur pur ! » Le ravissant duo de la Flûte enchantée ne serait pas un commentaire indigne de cette triple béatitude. Je ne sais pas un chant plus mélodique : c’est à peine si l’orchestre l’accompagne. Je n’en connais pas de plus pur, de plus pacifique et de plus doux. Aucun autre ne ferait mieux voir que, si l’opéra de Mozart est surtout mélodie, la mélodie y sait tout exprimer ; que rien de ce qui est humain ne lui est étranger ; et que notre âme est tout entière en son pouvoir.


CAMILLE BELLAIGUE.