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emporte de la lecture des meilleurs romans de cette école. La désespérance des romantiques était déclamatoire et sa déclamation même servait à nous mettre en garde contre elle : le pessimisme des naturalistes se présente avec des airs de déduction rigoureuse. Mais, d’ailleurs, il n’y a on lui rien de scientifique : car la science n’est ni pessimiste ni optimiste : elle constate des phénomènes, elle dégage des lois : c’est notre sensibilité qui intervient pour gémir, s’indigner et maudire.

Abus du document, étalage de grossièreté, recherche des phénomènes morbides, affectation d’humeur morose, ce sont quelques-unes des tares que la littérature a contractées au voisinage de la science. Aussi bien le procès du roman naturaliste a-t-il été suffisamment instruit. Est-ce à dire que, de son long effort, rien ne doive subsister ? Nullement. Et parce que la littérature a été souvent mal inspirée par des théories scientifiques mal comprises, est-ce à dire qu’elle doive désormais tenir la science pour ennemie ? Pas davantage. Les rapports sont établis et il n’appartient à personne de les briser. La science continuant de se développer, ce serait pure sottise au littérateur d’en ignorer les découvertes ou d’en tenir les résultats pour non avenus. Il suffira qu’il sache dans quelles mesures et à quelles conditions il peut en profiter.

Que le littérateur évite d’abord de se prendre pour un savant. Le moindre accident auquel il s’exposerait en cédant à cette illusion fâcheuse serait encore de se faire moquer de lui. Qu’il écoute plutôt sur quel ton les savans parlent de la science des littérateurs ! Au reste, s’il fait des romans ou des pièces de théâtre, au lieu de disséquer des corps et de se pencher sur le microscope, c’est apparemment que son tour d’esprit et le genre de ses études l’ont préparé à devenir romancier ou auteur dramatique plutôt que médecin ou chimiste. Quand il traite de sujets scientifiques, et faute d’apercevoir la complexité des questions, il a une tendance à tenir pour résolus les problèmes que la science avec tout son effort a réussi seulement à poser ; il s’empare des hypothèses qui séduisent son imagination, et en tire avec assurance des déductions qui le mènent tout droit à l’absurde.

Eût-il réussi à s’approprier la matière des livres de science, l’écrivain n’aurait encore rien fait de ce qui concerne son métier. Mettre en vers la loi de Mariotte, ou découper en actes les traités des spécialistes, comme le faisait hier M. Brieux dans les Avariés, est pareillement vain. La vulgarisation scientifique est une besogne qui peut avoir son utilité, mais qui n’intéresse ni la science, ni la littérature. La science a son objet et ses méthodes, que la littérature ne parviendra