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seul suffit pour faire apparaître devant les yeux, comme dans un mirage, l’Espagne à jamais évanouie et disparue, l’Espagne du siècle dernier, avec ses gentilshommes et ses grandes dames, ses moines et ses contrebandiers, ses toreros et ses majas, ses confréries de pénitens et ses voleurs de grand chemin, ses nécromanciens et ses sorcières. Car Goya, comme le dit très bien M. Lafond, qui nous présente son œuvre dans cette belle édition, est le miroir fidèle de cette Espagne tour à tour joyeuse et terrible, galante et sauvage, picaresque et fanfaronne. Dans son bagage, on rencontre pêle-mêle Almaviva coudoyant le torero Pedro Romero, Basile, la Carmencita, Torquemada assistant à un autodafé, des moines et des paysans massacrant l’armée de Napoléon. Il est, avant tout, un naturaliste attiré et captivé par les scènes de la vie, qu’il rend avec une ironie, une vivacité d’expression qu’aucun autre peintre n’a jamais atteintes, dans ses tauromachies. L’artiste a fixé à jamais, avec sa brosse ou sa pointe, cette société castillane dont il fut le peintre attitré et le dernier représentant. Alexandre Lunois[1], qui est encore au commencement de son œuvre, dont M. Emile Dacier nous fait connaître l’originalité, la montre, à son tour, dans quelques-unes de ses toiles, sous un aspect tout différent et très moderne.

Dans cette même collection, M. Léonce Bénédite examine l’œuvre peu considérable de M. Cazin[2], qui fut, lui, une des personnifications de l’idéalisme contemporain, qui eut la véritable intuition du sentiment religieux dans l’art et qui, dans ses paysages, sut souvent faire passer la grandeur mélancolique et la beauté intime des choses les plus humbles.

Ce n’est pas seulement dans l’école de peinture que se sont manifestées des tendances nouvelles depuis quelques années. Il s’est accompli un progrès considérable dans l’art de la maison, qui a trouvé des inspirations franches dans la nature elle-même, et la dernière Exposition a montré les efforts du genre moderne en quête de rénovation des industries somptueuses et de cette recherche d’un nouveau style qui répondît au confort et à l’hygiène modernes. Ce sont ces tentatives récentes et leurs résultats que M. Roger Marx, avec sa compétence indiscutée, a montrés dans ce beau livre : La Décoration[3], où les illustrations

  1. Alexandre Lunois, par M. Dacier, 1 vol. in-4o illustre ; Librairie de l’Art ancien et moderne.
  2. J.-C. Cazin, par M. Léonce Bénédite, 1 vol. in-4o, illustré de gravures et eaux-fortes ; Librairie de l’Art ancien et moderne.
  3. La Décoration et les industries d’art, par M. Roger Marx, 1 vol. in-4o illustré ; Delagrave.